INTRODUCTION
Chacun le constate d’évidence : la dégradation croissante des conditions de vie de la population qu’induisent les efforts acharnés de la bourgeoisie pour restaurer la valorisation du capital, c’est-à-dire la reproduction du mode de production capitaliste (MPC dans la suite du texte), génère une crise politique également croissante. On l’a vu par exemple en France, où quelque 50% des individus en âge de voter ne l’ont pas fait lors des élections de 2017 (et bien davantage dans les quartiers prolétaires des grandes villes) tandis qu’environ la moitié des votants ont choisi des partis type FN ou Insoumis, dits « populistes » selon les élites traditionnelles faillies, s’affirmant bruyamment « anti système ». Et même un Macron, exemple typique du banal haut fonctionnaire du capital certifié conforme, a basé sa campagne en se présentant comme « anti système » ! Autrefois les candidats à gouverner le capitalisme se présentaient comme ceux de « l’alternance », puis du « changement », et voilà qu’ils sont maintenant obligés de se faire passer pour des révolutionnaires ! Jusqu’où n’iront-ils pas ?
Je ne reprendrai pas ici la critique de ces partis dits populistes (cette désignation confuse et se voulant stigmatisante sera commentée en postface) puisqu’elle a déjà été exposée[1]. Sinon pour rappeler qu’elle dénonçait la supercherie de candidats qui, tout en conservant le MPC (le « système » justement), prétendent en faire un instrument au service du peuple grâce à un gouvernement qui saurait utiliser le capital et l’Etat pour cela (double supercherie : le capital est un rapport social spécifique, pas un instrument, et l’Etat en est, par construction, l’instrument qui l’organise et le protège).
Le présent ouvrage se limitera à exposer une thèse que Marx a, le premier, brillamment démontrée, mais qui fût largement occultée par le « marxisme officiel » qui a prévalu après lui, ainsi qu’à en tirer les conséquences quant à cette supercherie. Cette thèse, en effet, affirme que, dans le MPC, la valorisation du capital s’impose aux différents agents de la production, et particulièrement à l’Etat, comme un mouvement aussi inexorable que celui de la Terre tournant autour du soleil. Elle aboutit, entre autres, à cette conclusion que les capitalistes, dirigeants d’entreprises ou de l’Etat, sont eux-mêmes dirigés par la nécessité de ce mouvement. Ils ne sont dirigeants qu’en tant qu’ils le mettent en œuvre, qu’en tant que « fonctionnaires du capital ». L’avidité à gagner de l’argent existe depuis que l’argent existe, mais ce qui est spécifique au MPC c’est cette nécessité aveugle et implacable du mouvement de valorisation permanente qui reproduit le capital en l’accroissant et l’accumulant. On peut remplacer les fonctionnaires qui y œuvrent, pas la fonction, du moins tant qu’existe le capital.
Pour dire qu’elle est la cause de cette « dictature » du mouvement de la valorisation, il faut remonter à ce qu’est la valeur, et tout particulièrement à sa substance : « le travail abstrait ». Ce sera l’objet du premier chapitre où est commentée la fameuse définition qu’en donne Marx (dans Le Capital, chapitre 1). Sa lecture pourra bien évidemment être ardue pour beaucoup, ce qui est normal puisque le sujet l’est, s’agissant d’une abstraction. Mais qu’ils ne se rebutent pas devant cette difficulté : ils seront satisfaits des résultats de cet effort, et d’ailleurs ils pourront revenir à ce chapitre après lecture des chapitres suivants (voire, mieux encore, être tentés d’approfondir en allant à l’original, le chapitre 1 du Capital). C’est que l’effort de la réflexion théorique est, comme on le sait, le « prix » à payer pour comprendre la racine des phénomènes apparents, et ne pas s’épuiser dans des efforts pratiques qui s’attaqueraient, et alors tout à fait vainement, à combattre des effets sans en connaître et combattre les causes.
C’est pourquoi il n’est pas vain de relier les concepts de travail abstrait et de valeur à la notion de « fonctionnaires du capital » et à la critique du dit populisme, même si, surtout dans un ouvrage aussi court, cela pourrait paraître de prime abord comme une sorte de grand écart entre théorie et pratique. Car, au moment où se développe la crise politique, il est particulièrement important, pour qu’elle connaisse une issue victorieuse en faveur des prolétaires, et, au-delà, de la survie de l’humanité, de comprendre qu’il s’agit de construire un processus révolutionnaire pour abolir le capital et non pas de remplacer certains, ou même tous ses « fonctionnaires » par d’autres. C’est la contribution que ce bref ouvrage espère apporter aux luttes de classe à venir.
Les ABREVIATIONS utilisées dans ce texte sont les suivantes :
MPC : mode de production capitaliste.
A : argent.
M : marchandise.
pl : plus-value.
FN : Front National.
Notation des CITATIONS de K. Marx :
Pour Le Capital, texte des Editions Sociales : K., suivi de I, II, III, pour les livres, 1, 2, 3, pour les tomes, puis le chiffre des pages
Pour les Grundrisse (Editions Sociales) : Gr. I et II pour les tomes, puis le chiffre des pages.
Pour les Théories sur la plus-value (Editions Sociales) : TPV, I, II, III pour les tomes, puis le chiffre des pages.
CHAPITRE 1 : COMMENTAIRES SUR LES NOTIONS DE TRAVAIL ABSTRAIT ET TRAVAIL COMPLEXE
1.1 Définition générale du travail abstrait.
Les marchandises (M) sont des valeurs d’usage qui s’échangent dans certaines proportions quantitatives : xM1 = yM2, etc. Donc Marx part de l’idée qu’elles ne peuvent s’échanger que s’il y a entre elles une commensurabilité, quelque chose qu’elles ont en commun. Et la seule chose qu’elles ont en commun c’est évidemment le travail, la quantité de travail qu’elles contiennent. Mais pour égaliser des quantités de travail, encore faut-il que ce travail soit de même nature. Ce qui nécessite que les différents travaux concrets dont les marchandises sont le produit soient réduits à ce qu’ils ont en commun. Ce qui ne peut être que si on enlève, c’est-à-dire si l’on fait abstraction, de toute qualité, de tout caractère spécifique et personnel à ces travaux. Il ne s’agit évidemment pas d’une amputation chirurgicale, d’une réduction réelle, mais bien d’une abstraction, au sens où abstrait s’oppose à concret, et en tant que telle elle ne peut être saisie et comprise que par la pensée. Et ce que la pensée peut saisir et comprendre comme ce qu’il y a de commun à tous les différents travaux concrets, c’est une “dépense de force humaine en général”, “une dépense productive du cerveau, des muscles, des nerfs”[2]telle qu’elle est commune à tous les différents travaux concrets, abstraction faite de toutes les formes particulières, toutes les qualités particulières de ces travaux. Cette métamorphose du travail concret en travail abstrait, en une forme de travail indifférencié, parfaitement identique quelle que soit la marchandise dans laquelle il se fixe, est posée comme un postulat : il ne peut en être qu’ainsi pour qu’il y ait échanges égaux de marchandises, “l’égalité de travaux qui diffèrent complètement les uns des autres ne peut consister que dans une abstraction de leur inégalité réelle…”[3].
Finalement, comme le montre Marx, ce travail abstrait a pour caractéristique d’être du “travail général”, du travail dépouillé de toute qualité particulière, qui, quel qu’il, soit, ne vaut donc que comme quantité d’un même travail[4]. Il résulte de cette parfaite identité des travaux concrets ainsi réduits à du travail abstrait que chacun d’eux n’est alors qu’un fragment du travail général total, de la somme de tous les fragments du même travail général, abstrait. Le travail de chaque producteur particulier fait ainsi immédiatement partie de ce tout. C’est-à-dire que c’est seulement sous cette forme de travail abstrait, fragment du travail général total, que, dans les sociétés fondées sur la propriété privée des moyens de production (la séparation des producteurs), le travail concret peut être socialisé (validé socialement), ou du moins potentiellement socialisé pourvu que l’échange se fasse. Car c’est l’échange seul qui valide que le travail privé correspond bien à un travail social, c’est-à-dire répond en qualité, quantité, utilité, etc. aux besoins de la société et à ses exigences en termes de temps employé pour chaque sorte de marchandise. Ainsi, par la métamorphose du travail concret en travail abstrait est potentiellement résolue la contradiction privé/social dans la production. Notamment se résout ainsi la répartition des travaux et moyens de production entre les différentes branches. Mais cette validation sociale des travaux privés ne se réalise qu’à travers des catastrophes puisque ce n’est que par l’échange, après la production, « post festum », que cela a lieu. L’anarchie de la production est une caractéristique bien connue du monde marchand-capitaliste et de ses crises récurrentes.
1.2 Travail simple et travail complexe.
Le travail abstrait est donc défini comme la substance de la valeur des marchandises, une définition qui sera discutée plus loin. Reste à définir la grandeur de cette valeur, qui règle les proportions de l’échange. S’agissant d’un travail indifférencié, identique pour chaque marchandise, la quantité de cette substance peut être mesurée par le temps. Mais aux deux conditions suivantes : 1°) que ce soit du temps social moyen, 2°) que le temps de « travail complexe » (“skilled labour” ou travail qualifié dit Marx sans plus de précision) soit réduit à une multiplication de temps de « travail simple ».
Du temps social moyen car en effet chaque force de travail individuelle étant réduite à se présenter comme force de travail abstrait, fragment du même travail général totalisant celui de tous les individus, doit par là même posséder “le caractère de force sociale moyenne”, c’est-à-dire n’employant dans la production d’une marchandise que “le temps de travail nécessaire socialement”[5], la quantité, le temps de travail social propre à chaque sorte de marchandise (le paresseux qui met plus de temps que la moyenne n’est pas avantagé). Chaque producteur d’une marchandise donnée est donc réputé avoir mis le même temps de travail social, la même quantité de travail général dans cette production, quel que soit le temps réel qu’il y a employé (ce qui est problématique si on veut répartir les produits selon le principe “à chacun selon son travail” !).
Mais cette égalisation du temps de travail ne vaut que pour la production d’une marchandise donnée. Car tout travail concret, mettant en œuvre des qualités fort diverses selon les métiers, ne se réduit pas à la même quantité de travail abstrait. Ici, Marx fait intervenir les notions de travail simple et travail complexe, et il postule qu’en termes de quantité (de travail abstrait doit-on préciser), “le travail complexe n’est que du travail simple multiplié”[6]
En parlant de travail simple, mis en relation avec le travail complexe, Marx semble parler de travaux concrets de différents niveaux de qualification. En fait, tout travail concret, y compris “simple”, est plus ou moins complexe dans une société marchande, donc fondée sur la division et la spécialisation des travaux. Observons qu’on pourrait objecter à cette affirmation selon laquelle le travail est toujours complexe que le travail de l’ouvrier posté à la chaîne fordiste se rapproche concrètement de très près du concept de travail simple. Et même dès le 19èmesiècle, Marx écrivait qu’aux U.S.A. « l’abstraction de la catégorie « travail », « travail en général », […] devient vérité pratique »[7]. Mais d’une part, même dans ce cas, l’ouvrier déploie de l’astuce pour effectuer ce travail autant que possible, et aussi peu que ce soit, à sa façon. Et surtout, d’autre part, si le producteur de la marchandise n’est plus l’artisan (et ses compagnons) de la société marchande simple, il est devenu avec le capitalisme non pas l’ouvrier isolé, mais “le travailleur collectif” formé des ouvriers, techniciens, ingénieurs, etc., c’est-à-dire sans conteste un fournisseur de travail complexe.
Bref, si tout travail concret, même simple, est complexe, que vaut alors cette distinction ? En fait Marx donne du travail simple la même définition que celle du travail abstrait : c’est la même chose. Pourquoi n’utilise-t-il pas alors le même terme ? C’est que dans la réduction du travail concret au travail abstrait, il s’agit de l’abstraction des qualités, toutes, quelles qu’elles soient. Mais le travail concret est, on vient de le dire, toujours plus ou moins complexe, et la réduction du travail complexe au travail simple indique le côté quantitatifde cette abstraction. Il concerne non pas la substance de la valeur mais sa grandeur. Plus le travail est complexe, plus il fournit une plus grande quantité de travail abstrait, appelé ici travail simple, “force simple que tout homme ordinaire, sans développement spécial, possède dans l’organisme de son corps”. Marx ajoute : “le travail simple moyen change, il est vrai, de caractère dans les différents pays et suivant les époques, mais il est toujours déterminé dans une société donnée”[8]. “Homme ordinaire”, c’est vague, “toujours déterminé”, comment ? Sur cette question, Marx ne se comprend qu’intuitivement, il n’en donne pas la théorie. Il aurait pu dire : logiquement, plus un travail est riche d’acquisitions, d’apprentissages manuels et intellectuels propres à chaque métier, plus il est qualifié, complexe, plus il est un multiple de travail simple/abstrait, sans développement spécial, c’est-à-dire sans qualification, abstraction faite des qualités. Quant à dire : ”l’expérience montre que cette réduction se fait constamment”, c’est une simple affirmation. Il aurait mieux valu dire : de même que l’échange généralisé des marchandises implique nécessairement leur égalisation via la métamorphose du travail concret en travail abstrait, il implique tout aussi nécessairement que la quantité de travail abstrait soit différente suivant les qualifications acquises et mises en œuvre dans ce “labour” toujours plus ou moins “skilled” (notons qu’il s’agit bien ici de la quantité de travail abstrait-simple qui donne la grandeur de la valeur d’une marchandise en général, et non pas du concept de valeur de la force de travail salariée – qui sera développé ultérieurement dans Le Capital – qui n’est qu’une fraction de cette valeur).
Ayant rappelé succinctement ce que Marx définit comme substance et grandeur de la valeur, et avant d’en venir à sa forme (valeur d’échange, argent), il faut revenir à la question de la substance qui, en tant que profonde abstraction, est la plus difficile à comprendre alors même que sans cette compréhension, on ne peut saisir l’origine de l’argent, du capital, de son mouvement et de sa domination sur les individus qui n’en sont que les fonctionnaires, les agents, sauf à le combattre pour l’abattre.
1.3 Le travail abstrait ne produit rien de concret.
La difficulté provient de ce que Marx, bien sûr logique avec le concept d’abstrait, affirme “qu’il n’y a pas un atome de matière qui pénètre dans la valeur“[9]. Pourtant s’interroge-t-on au premier abord, elle a bien une grandeur, donc une grandeur de quelque chose de quantifiable, de réel, quelque chose à quoi Marx semble même donner un contenu réel puisqu’il dit que c’est ce que tout travail a en commun : une certaine dépense d’énergie, du cerveau, des muscles, etc. Il semble à première vue paradoxal de parler d’une dépense réelle d’énergie et en même temps d’affirmer qu’il n’y a là rien qui crée de la matière, quelque chose de réel. Et quand Marx conclut la section 1 du premier chapitre du Capital, dans laquelle il analyse la substance de la valeur comme étant le travail abstrait, par ces mots « …la substance de la valeur, c’est le travail », le travail tout court, c’est compris par le lecteur comme concret ! La précision « travail abstrait » aurait dû être là bien réaffirmée car elle est d’une grande importance puisque sans travail abstrait, on le rappellera plus loin, pas d’existence de l’argent, pas de capital ni de capitalisme !
Le terme même de substance peut nous induire à penser qu’il s’agit de matière, ce qu’elle est en général en français. Par exemple, selon le dictionnaire Robert : “la substance d’une chose est ce qui la constitue, sa matière, son contenu” ou bien “la substance est une matièreconstituée par ses propriétés”. Comment alors comprendre l’affirmation de Marx selon laquelle il n’y a pas de matière dans la valeur, et en quoi cela a t-il une grande importance ?
Il y a d’abord le fait, celui-là aisément compréhensible, que la réduction du travail concret en une espèce de travail qui soit commensurable, le travail abstrait, n’a aucune cause naturelle, matérielle, mais seulement et uniquement celle d’un rapport social, historiquement spécifique, la propriété privée des moyens de production, la séparation des producteurs, reliés seulement par l’échange de leurs M, et « post festum ». Mais est-ce que cela suffit pour affirmer que “les valeurs n’ont qu’une réalité purement sociale”[10]? Certes, la cause est sociale mais l’effet pourrait néanmoins contenir de la matière (l’important ici est que la cause étant sociale, sa suppression l’est aussi : l’abolition des rapports sociaux de la propriété privée).
Mais le propos de Marx est plus précis. Il dit que seul le travail concret produit des marchandises sous leurs formes naturelles d’objets utiles, de matière utile. Seul le travail concret injecte dans le produit ce qui le façonne. La substance dite travail abstrait existe bien, mais inextricablement inhérente d’un travail concret toujours particulier, fragment d’un travail général total abstrait lui-même inconnaissable, elle ne peut être saisie que par la pensée[11]. Sous cette forme abstraite le travail ne produit pas de valeur d’usage, pas de matière donc, ne produit rien car il n’y a pas d’objets qui ne soient le produit de la mise en œuvre de multiples qualités humaines. Le travail abstrait n’est que “échantillons du même travail indistinct”[12], fragments du travail général total, qui sont “réputés valeurs”, détachés, distincts de leur existence comme produits matériels, objets d’utilité. « Le travail du tailleur, par exemple, produit l’habit, mais pas la valeur d’échange de l’habit. Ce n’est pas en sa qualité de travail de tailleur, mais en tant que travail général abstrait qu’il produit cette valeur… »[13], en tant que fragment purement quantitatif de ce travail général.
Dans l’échange des marchandises, la valeur d’usage, l’utilité, n’est que le support de la valeur d’échange, des fragments de travail général abstrait qui sont échangés. Comme tous ces fragments ont une substance identique, ils pourront tous se représenter dans une même marchandise : l’argent (cf. infra).
Ainsi, ce qui caractérise le travail abstrait, c’est que, outre d’avoir une origine purement sociale, il, et avec lui la valeur, n’a rien à voir avec “la nature physique des marchandises”[14], avec leur réalité de matière concrète, de valeur d’usage. « La valeur d’échange en soi ne renferme pas de matière à l’état naturel »[15]Ce qu’elle contient, qu’elle représente, c’est une certaine quantité du travail général abstrait total, lequel et laquelle sont par définition insaisissables, incalculables. Pourquoi les producteurs privés sont-ils amenés, à leur insu, sans qu’ils n’en sachent rien, à échanger les produits de leurs travaux concrets comme s’ils étaient les produits du travail abstrait. Parce que la logique veut, la théorie prouve, la pratique atteste (par toutes les conséquences qui découlent de la théorie de la valeur) que l’échange des marchandises, l’échange de travaux effectués séparément, de manière privée, ne peut se faire que sur la base de l’égalité des quantités de travail simple-abstrait et socialement nécessaires qu’elles contiennent, que sans cette égalisation le travail des producteurs privés ne pourrait pas se socialiser.
Maintenant, il faut voir comment cette réalité de l’échange selon ces quantités de travail abstrait se manifeste concrètement, comment le travail abstrait, substance immatérielle de la valeur, devient substance matérielle la représentant.
1.4 Le travail abstrait à l’origine de l’argent.
Il résulte de ce qu’est la substance de la valeur que celle-ci est “insaisissable”, que “la valeur ne porte donc pas écrit sur son front ce qu’elle est”[16]. Elle ne peut se faire valoir que dans l’échange des marchandises, relativement, suivant les proportions dans lesquelles elles s’échangent (proportions qui varient historiquement en fonction de l’évolution des forces productives et de la productivité), bref, comme valeur d’échange.
Le fait que toutes les marchandises doivent pouvoir s’échanger entre elles pour satisfaire l’ensemble des besoins sociaux induit la nécessité d’avoir une marchandise unique qui puisse s’échanger avec toutes les autres, lesquelles peuvent tout à fait se représenter dans cette marchandise unique puisque toutes sont des « échantillons » de la même substance, une fraction du même travail abstrait général. L’argent est cette marchandise unique qui représente ce que toutes les marchandises ont en commun et qui permet leurs échanges : le travail abstrait. L’argent est une marchandise spéciale dont la valeur d’usage est de représenter les valeurs des autres marchandises, des quantités de travail social général. Toutes les autres marchandises, toute la richesse sociale, sont ainsi représentées dans une marchandise spéciale, détachée des travaux concrets qui les ont produites, extérieure à ces travaux, donc dans une représentation autonomede la richesse concrète, de la richesse comme valeurs d’usage. Cette autonomie de l’argent comme représentant de la richesse est, comme nous allons le voir plus loin (chapitre 2), un fait essentielen ce qu’il engendrera le caractère automatique de l’accroissement de l’argent, et le capital comme moyen de cet auto-accroissement, comme “valeur se valorisant”.
Seule la compréhension du travail abstrait comme métamorphose et représentation sociale imaginaire du travail concret, seul réel et créateur, peut permettre de comprendre l’origine de l’argent, la nécessité de son existence comme étant la réalité, la matière qui, comme par artifice, par une nouvelle métamorphose, représente concrètement le travail abstrait, la valeur qui, « insaisissable » en elle-même, est ainsi représentée concrètement.
Résumons ce processus qui mène à l’argent. Nous avons vu le pourquoi de la métamorphose du travail concret en travail abstrait, voyons maintenant comment cela se concrétise dans l’échange. Marx dit très bien[17]que la transformation du travail concret en son contraire, le travail abstrait, est un “procès théorique” (et comme tel, il ne peut être découvert et expliqué que théoriquement, par la pensée), tandis que la métamorphose du travail abstrait en argent lors de l’échange est un “procès réel” car, contrairement au travail abstrait, l’argent a une réalité matérielle sous forme de monnaie[18]. Mais ce qui devient concret, matière, dans cette seconde transformation, c’est cette nécessité sociale que l’échange des marchandises doive se faire comme si le travail concret contenu dans chaque marchandise n’y existait en fait que comme travail abstrait, comme quantité de travail général. En effet, “il faut que la marchandise possède cette expression générale avant d’être aliénée”[19]. Tout se passe comme si le produit possédait, à l’état latent, une espèce de matière virtuelle créée par le travail abstrait, laquelle devient matière réelle, concrète, dans l’argent. Il faut bien que le travail concret qui, seul, a créé le produit apparaisse ! Mais alors il apparaît comme tout autre chose que l’objet qu’il a créé, qui, en tant qu’objet, valeur d’usage, n’est que le support de la valeur d’échange représentée dans l’argent. Ainsi à travers de cette double métamorphose travail concret-travail abstrait, puis travail abstrait-argent, le produit du travail, la richesse réelle apparait sous une forme autonome, l’argent, détachée du travail concret des producteurs, représentant la richesse sociale, une puissance créée par les hommes « à leur insu » de sorte qu’elle les domine.
La première métamorphose se fait évidemment “à notre insu” puisqu’elle est immatérielle, inconstatable. De ce fait, l’origine de l’argent, le pourquoi la richesse sociale, fruit du seul travail concret, prend cette forme chosifiée, abstraite, autonome, sont inconnus des producteurs. “En tant qu’objet de valeur, la marchandise reste insaisissable”[20].
Si la forme de travail qui constitue la substance de la valeur était saisissable, c’est-à-dire si elle était créatrice d’une matière concrète, alors on pourrait connaître la grandeur de celle-ci. La répartition sociale des travaux et des produits pourrait alors être faite consciemment (planification), il n’y aurait pas besoin de l’argent. Seul le concept de travail abstrait explique l’origine de l’argent et sa nature de richesse universelle, abstraite, autonome, c’est-à-dire détachée du travail concret qui est en réalité la seule source de la vraie richesse, matérielle, intellectuelle, artistique, etc.
Au fur et à mesure que les rapports marchands se généralisent et se reproduisent à une échelle toujours plus large, “les objets d’utilité sont produits en vue de l’échange, de sorte que le caractère de valeur de ces objets est déjà pris en considération dans leur production même”[21]. Les producteurs opèrent cette prise en considération par ce qu’ils connaissent du marché à travers les conditions des ventes passées ou, plus tard, ce qu’ils tentent d’anticiper au moyen d’études de marché tellement incertaines qu’elles sont sans cesse démenties par les crises récurrentes. C’est que la valeur est insaisissable, que les rapports de valeur n’apparaissent que « post festum », que ce sont les mouvements aveugles et imprévisibles des différentes formes métamorphosées que ces rapports revêtent (prix, salaires, profits, intérêts, etc.) qui dictent les comportements et l’existence des producteurs sans qu’ils puissent en savoir la cause, ni les prévoir. Ce qui amène Marx à découvrir et expliquer ce phénomène si caractéristique des sociétés marchandes et capitalistes qu’il nomme “fétichisme de la marchandise”, qui est que les hommes y sont soumis au mouvement autonome de la valeur et de ses formes concrètes (ces prix, salaires, etc.)“qui les mènent, bien loin qu’ils puissent le diriger”[22]. Phénomène qui prendra toute son ampleur avec le développement historique du capital comme “valeur se valorisant”, comme “capital automate” dont les hommes ne sont que les agents, les “fonctionnaires”, sauf à lutter pour abolir la propriété privée !
Cette question du travail abstrait comme substance de la valeur, et de l’argent qui la représente, est d’une grande importance pratiquepour la lutte de classe aujourd’hui. Car cette compréhension permet de critiquer ce “fétichisme de la marchandise” et de saisir que, dans un monde fondé sur la propriété privée des moyens de production, remplacer les hommes à la tête de l’État, des peuples, des entreprises, ne sert à rien si on n’abolit pas ce mode de production qui implique que l’argent n’est pas un moyen pour les hommes, mais au contraire les hommes un moyen pour l’argent, de comprendre qu’il n’est pas possible de mettre l’argent, et encore moins le capital qui est son accroissement automatique comme on va le rappeler, au service des hommes, que donc il s’agit moins de lutter contre les capitalistes que contre le capital, même s’il faut passer sur les corps des premiers pour atteindre le second.
CHAPITRE 2. L’AUTOVALORISATION DE LA VALEUR ET SON MOYEN : LE CAPITAL.
Immédiatement après avoir donné une analyse précise de la marchandise, Marx termine le 1erchapitre du Capital par sa fameuse 4èmesection : « le caractère fétiche de la marchandise et son secret ». En résumé, qu’est-ce à dire ? C’est une des conclusions qu’il tire de sa découverte que les produits des travaux privés prennent la forme marchandise, c’est-à-dire ne sont socialisés que sous la forme valeur d’échange, laquelle revêt concrètement la forme argent. De sorte que les hommes, dans la production réciproque, sociale, des conditions de leurs vies, n’entrant en rapports que par et pour échanger leurs produits-marchandises, leurs rapports sociaux ne sont pas « des rapports sociaux immédiats des personnes dans leurs travaux mêmes, mais bien plutôt des rapports entre choses »[23], et, concrètement, des rapports médiatisés par l’argent, valeur universelle pouvant s’échanger contre toutes les autres marchandises. Avec la généralisation des échanges, à grande échelle, les valeurs d’usage ne sont plus que les supports des valeurs d’échange, les marchandises que des « porte-valeur », l’argent est le début et la fin de l’échange à valeur égale des M, A-M-A : il est son but.
Or les valeurs des diverses marchandises (donc aussi leurs prix) changent sans cesse en même temps que les diverses conditions de leur production. Et cela à l’insu des producteurs (qui ne peuvent que le constater), « indépendamment de la volonté et des prévisions des producteurs, aux yeux desquels leur propre mouvement social prend ainsi la forme d’un mouvement des choses, mouvement qui les mène, bien loin qu’ils puissent le diriger. »[24]On a là, déjà, le secret de la domination du capital sur les individus. C’est ce point qui va maintenant être succinctement développé.
Le caractère fétiche de la marchandise c’est, dans sa généralité, que ce sont les rapports de valeur entre les marchandises qui socialisent et valident les travaux des hommes. Ce sont ces rapports entre des choses qu’ils ont créées et ayant pris la forme valeur, qui décident de ce qu’ils font. C’est ce que les économistes appellent « les lois du marché », reconnaissant par là même, sans le vouloir, que ce ne sont pas celles des hommes sur ce qu’ils font. Ce sont les mouvements (dus notamment aux gains de productivité) de cette forme chosifiée et autonomisée de leurs travaux qui leur dictent quelles marchandises produire, en quelles quantités, comment, où, etc. Concrètement il s’agit des mouvements des prix – le prix étant une forme modifiée de la valeur du fait de diverses circonstances (offre/demande, péréquation des taux de profit, cours du change) qu’il n’est ni besoin ni possible d’expliquer ici. Les variations de ces prix, lesquels se résument en « coûts de production » et « prix de vente », dictent les comportements des producteurs (sans qu’ils sachent, pas plus que les économistes, que, derrière, il y a les mouvements de la valeur, les variations des rapports de valeur entre les marchandises). Ces variations, ils les constatent « sur le marché », lors des échanges. C’est cette fameuse « main invisible » qui les mène « bien loin qu’ils puissent la diriger », et à laquelle la concurrence, le gendarme de ce marché, les oblige à obéir sous peine de ruine.
Le fait que les producteurs privés ne décident ni ne dirigent librement leurs activités productives, mais sont dirigés par les mouvements de la valeur (des prix) pourrait faire croire qu’on prétend par là qu’ils n’ont aucune volonté, ne sont que des marionnettes. Or bien évidemment ces individus décident, agissent, ont une volonté. Mais qu’elle est-elle ? Elle est bien sûr d’effectuer cet échange. Ainsi, comme le dit Marx, dans l’échange des marchandises, leurs possesseurs doivent « se mettre en rapport entre eux à titre de personnes dont la volonté habite dans ces choses même »[25]. Car qu’est-ce qu’ils font quand ils échangent les choses qu’ils ont produites ? Par là ils se reconnaissent, entrent en rapport en tant que propriétaires privés. Or « ce rapport juridique […] n’est que le rapport des volontés dans lequel se reflète le rapport économique […].Elles(ces personnes) n’existent les unes pour les autres qu’à titre de représentants de la marchandise qu’elles possèdent. »[26]Comme représentants de ces marchandises leurs volontés entrent en des rapports qui reflètent, plus ou moins bien, ceux qui règlent les échanges des marchandises (ces rapports économiques) : des rapports entre valeurs. Autrement dit leurs volontés sont déterminées par le « fétichisme de la marchandise » que nous venons d’évoquer ci-dessus. Par leurs actes ils s’adaptent plus ou moins bien aux variations des valeurs des marchandises, qu’ils constatent « post festum » (après avoir produit). Ce qui se passe d’abord dans l’échange des marchandises, c’est la métamorphose d’une certaine quantité de travail abstrait (de valeur) en argent. La volonté qui se manifeste dans ce type d’échange historiquement spécifique, c’est la « volonté » de la valeur d’exister concrètement en devenant A. Son support, la marchandise, est « porte-valeur », doit devenir A. Et les possesseurs des marchandises, qui ne sont en rapports qu’en tant qu’ils mettent en rapport celles-ci, qui n’existent donc « qu’à titre de représentants de la marchandise »[27]sont les exécutants en charge de cette transformation, volonté inhérente à la valeur. D’où cette conclusion : ces « producteurs ne sont que la personnification des choses »[28](des marchandises, des valeurs).
Dès lors « ce qui intéresse tout d’abord pratiquement les échangistes, c’est de savoir combien ils obtiendront en échange de leurs produits »[29].Ils achètent les moyens du travail (des outils, des matières, etc.) uniquement pour en revendre le produit. L’argent est le but. Mais acheter pour revendre n’a pas de sens, pas de contenu, relève Marx, si on retrouve la même valeur A au début et à la fin du processus. Le seul contenu que peut avoir un tel procès est l’accroissement de A. Ce ne doit pas être A-M-A, mais A-M-A’, avec A’ plus grand que A.
Donc il y a deux phénomènes conjoints. 1°) La valeur n’existe qu’à travers des échanges permanents entre argent et marchandises. Le producteur est obligé de sans cesse transformer sa marchandise en argent, puis de nouveau l’argent en d’autres marchandises pour lui permettre de vivre et de continuer à produire pour continuer à vivre. La valeur n’existe qu’en perpétuel procès d’échanges entre marchandises et argent (à moins qu’elle ne disparaisse dans la destruction des marchandises ou la thésaurisation). 2°) ce mouvement sans fin n’a de contenu que si la valeur s’y accroît : A-M-A’, suivi de A’-M’-A’’, etc. Il y a donc une nécessité, une volonté inhérente à la valeur, qu’elle contient en tant que telle, qui est d’être « valeur qui se valorise »[30], valeur en procès, certes, mais procès « d’autovalorisation » parce ce que telle est l’existence même de la valeur, représentation chosifiée des travaux des hommes, déterminant leurs rapports et comportements.
Certes le producteur possesseur de l’argent des moyens de production et des produits est acteur de ce procès, conscient qu’il lui faut l’accomplir puisque ce n’est qu’ainsi qu’il peut valider socialement son travail, et que son intérêt est bien d’en obtenir le plus d’argent possible. Mais pourquoi ce n’est qu’ainsi, cela il l’ignore, de même alors qu’il ignore pourquoi tant de crises perturbent ces processus, tant de désastres et d’horreurs les accompagnent. Mais puisqu’avec le procès A-M-A’ on a évidemment affaire au capital, nous reparlerons des capitalistes après l’avoir fait du capital.
Le capital est, en pratique, le procès de valorisation : pas de capital sans plus-value et le profit qui en découle. Il est la mise en œuvre pratique de la volonté de la valeur. Le rapport salarial en est le moyen. Marx a parfaitement analysé ce rapport dans lequel le capitaliste achète comme étant une marchandise, à sa valeur (à quoi correspond le salaire), la force de travail du salarié[31], ce qui lui permet d’en utiliser toute la puissance (toute la valeur d’usage) et de s’en approprier aussi tout le produit. Ce qui permet l’obtention d’une plus-value (ou survaleur) correspondant à la quantité de travail qu’a fournie le salarié au-delà de celle pour laquelle il a reçu un équivalent sous forme de salaire : la plus-value est la réalisation de ce surtravail, inclus dans la quantité de travail totale contenue dans la marchandise, dans sa valeur donc, lors de la vente (précisons bien qu’il s’agit ici de valeurs, donc de travail social et abstrait).
Autrement dit, il y a dans le rapport capitaliste (salarial) à la fois application et négation de la loi marchande simple d’échanges selon l’égalité des valeurs. Le capitalisme n’est pas un simple prolongement de la production marchande simple, mais aussi son renversement : un des échangistes, le capitaliste, obtient une valeur plus grande que celle qu’il a apportée dans l’échange. C’est une nouvelle loi d’appropriation. En même temps le mouvement historique d’accumulation et de concentration du capital entraîne la quasi extinction de la propriété personnelle des moyens de production et le développement d’une propriété de classe, sous diverses formes : financières, managériales, intellectuelles, etc., et, en face, le développement des producteurs désappropriés comme éléments de la classe prolétaire.
Ainsi le rapport capitaliste salarial explique parfaitement la source et la grandeur de la plus-value (pl). Explication suffisamment connue, sauf des économistes et idéologues bourgeois, pour qu’il ne soit pas nécessaire de s’y attarder ici d’avantage. Si ce n’est quand même pour rappeler ce fait que lorsque le capitaliste échange le salaire A contre cette marchandise M qu’est la force de travail, il échange une valeur fixe (dans des circonstances sociales et historiques déterminées) contre une M unique en son genre puisqu’elle a la particularité d’être productrice de valeur (et l’échange salarial n’existe que s’il satisfait à cette condition, le travailleur n’y est que le moyen, l’exécutant de la volonté de la valeur de se valoriser). D’où d’ailleurs la notation Cv, capital variable, pour la valeur de la force de travail.
Le capital est un processus de valorisation. Il n’existe que comme s’accroissant, tout comme le cycliste ne tient debout qu’en roulant. « Il nous semble que le mot valorisation exprimerait le plus exactement le mouvement qui fait d’une valeur le moyen de sa propre multiplication »[32]. Et le capital est concrètement ce mouvement, il est « valeur se valorisant ».
Donc le capital argent doit toujours se réinvestir en forces de travail et moyens de production, et s’accroître sous toutes ces formes dans un « procès sans fin », et sans fins autres que cet accroissement. Dans ce procès le capital argent ne se présente pas comme simple grandeur de valeur, comme l’affirment les économistes, mais comme valeur autonome qui ne se transforme en moyens de production et en emplois que pour s’accroître elle-même.
Puisque dans ce procès sans fin « la circulation de l’argent comme capital possède son but en elle-même »[33], Marx conclut qu’avec le capital « la valeur se présente comme une substance automatique »[34], qu’elle « se transforme en sujet automate »[35], « une substance qui se met en mouvement par elle-même, et pour laquelle marchandise et monnaie ne sont que de simples formes »[36]qu’elle revêt au cours du procès de production, qui n’existe que s’il est procès de valorisation. Au point d’ailleurs que la valeur A qui est capital, « au lieu de représenter des rapports entre marchandises, entre, pour ainsi dire, en rapport privé avec elle-même »[37]. Car, en effet, A n’existe comme capital que comme présupposé de A’, que parce qu’il porte en lui ce devenir. Le capital ce n’est pas une grandeur A, mais le procès sans fin de l’accroissement de A.
D’ailleurs, observe Marx[38], le capitaliste lui-même considère le capital comme un automate qui a la faculté de produire de l’argent, d’être « de l’argent qui pond de l’argent, monnaie qui fait des petits »[39]. Il est vrai que lorsqu’on ne voit pas l’origine de la pl dans le surtravail des salariés, on ne peut la voir que dans l’étrange faculté qu’aurait l’argent d’en produire davantage.
Et pour le capitaliste, en effet, le profit vient s’ajouter aux « coûts de production » (bâtiments, machinerie et approvisionnements Cc, plus masse salariale Cv, équivalents du capital A engagé). Le profit vient s’y ajouter au moment de la vente. On retrouve ici la conception critiquée ci-dessus qui ne considère le salaire que comme un coût fixe, contrepartie de ce que coûtent les moyens de subsistance nécessaire à la reproduction du travailleur considéré comme marchandise force de travail. Ainsi, pour le capitaliste, les règles de l’échange égal des marchandises ont été respectées chaque marchandise facteur de la production ayant été payé à sa valeur (à son prix de marché). Le profit se comprend pour lui comme une sorte de bonus qu’il s’octroie en guise de rémunération de l’argent qu’il a risqué dans la production : A est à l’origine du résultat A’. Mais si chaque producteur ajoute un bonus de, par exemple, 10% à ses coûts de production, aucun n’y gagnera en réalité puisque ce qui sera gagné comme vendeur sera perdu comme acheteur. La vente ne peut évidemment créer aucune valeur, mais seul le peut le travail. Rappelons brièvement, pour terminer sur cette question de l’origine de la pl et du profit dans le seul surtravail, que cette mystification qui la voit dans l’argent lui-même est renforcée par le phénomène de la péréquation des taux de profit qui aboutit à la formation d’un « taux général de profit » autour duquel gravitent les taux de profit des différentes branches de la production. Ce qui fait que chaque capital A engagé tend à jouir du même taux de profit, ce qui renforce l’idée que le profit vient de A, quels que soient les différents procès de production propres aux différentes branches.
La conclusion que Marx tire de ce fait que la pl n’apparaît pour le capitaliste que comme profit, comme bonus ajouté à A pour donner A’, est que « la transformation de la plus-value en profit accomplit ainsi la mystification qui laisse apparaître le capital comme un SELFACTOR et comme personne vis-à-vis du travail »[40].
Ce fantasme de l’argent qui produit de l’argent « comme le poirier produit des poires » semble se réaliser pleinement avec le développement du crédit et la formation d’un capital financier qui semble pouvoir réaliser directement le procès A-A’ sans passer par la production. Le concept de travail abstrait rappelé chapitre 1, à partir duquel s’explique l’autonomie de la valeur, trouve dans le développement du capital financier sa pleine vérification concrète. De même qu’est aussi vérifié que « l’aspect argent de la valeur est sa forme indépendante »[41]. L’autonomie de la valeur semble avoir atteint son point culminant, l’indépendance, avec le capital financier (mais bien sûr les krachs viennent rappeler périodiquement la fiction de cette apparente indépendance).
L’affirmation du capital comme autovalorisation, comme procès de production qui n’existe qu’en tant qu’il est procès de valorisation, a été fortement énoncée et soutenue par Marx, et on en verra plus loin les importantes conséquences pratiques. Citons encore : dans l’échange de l’argent contre la puissance de travail, c’est-à-dire dans le rapport capitaliste, « la valeur autonomisée comme argent est censée se conserver, s’augmenter et acquérir la figure d’un MOI autonome, tandis que le possesseur d’argent doit devenir capitaliste, précisément en développant l’emprise de la valeur sur la circulation où elle s’affirme commesujet. »[42]
Parler de « volonté » de la valeur, de valeur qui « s’accroît par sa propre vertu »[43], de valeur « sujet », dotée d’un « Moi », est apparemment tout à fait inapproprié, et même incompréhensible puisque des choses, telles les marchandises, et notamment l’argent, la valeur par excellence, les représentant toutes, ne peuvent a priori pas avoir ces qualités. Et effectivement on sait que seul le travail effectué dans le rapport salarial peut accroître la valeur. Ou plutôt, justement, on ne le sait en général pas (en particulier les économistes). Mais l’effectuation d’un tel travail prouve-t-elle que ses acteurs, ceux qui l’organisent comme ceux qui l’exécutent, agissent selon une volonté qui soit libre de toute contrainte, de toute influence cachée ? Evidemment non. Et, de fait, dans le capitalisme, tous les comportements, activités, projets, etc. sont (sauf activités révolutionnaires) ceux d’individus et d’Etats, d’institutions, d’entreprises – qui sont soumis, déterminés par l’exigence de la valeur d’être valorisée. Ils ne font que la mettre en œuvre, chacun à leur place et à leur façon. Effectivement, dans le capitalisme elle joue incontestablement un rôle de sujet, les hommes n’y étant que ses agents, soumis à leur insu à cette volonté extérieure. La valeur n’est pas une volonté sans moyens pour la concrétiser, sans ces agents donc. Mais ils incarnent cette volonté. Ils lui sont soumis au point que toutes les formes qu’elle revêt dans son procès de valorisation, tels le salaire, les prix, l’argent, le profit, l’intérêt, etc. leur paraissent être des choses naturelles, au lieu qu’elles reflètent en réalité les rapports sociaux d’appropriation et de production propres au capitalisme, n’étant que des formes apparentes de la valeur.
Tout ce qui vient d’être dit n’a rien pour étonner : ce n’est là qu’une application du phénomène, rappelé ci-dessus, que Marx a nommé « fétichisme de la marchandise », et qui est domination sur les hommes de choses qu’ils ont eux-mêmes créées, à leur insu. Dans un monde où les rapports sociaux entre les hommes prennent la forme de rapports entre des choses, les produits de leurs travaux, et ceux-ci la forme valeur, il est normal que cette forme devienne du même coup, par cette construction même, le sujet. « Volonté », « sujet », « Moi autonome », sont en effet des attributs que les hommes eux-mêmes ont, sans le savoir, sans le vouloir, donnés à la valeur, à l’argent, s’en dessaisissant eux-mêmes du même coup. Car, répétons-le après Marx, la valeur n’a qu’une origine sociale.
Quelles conséquences pratiques a cette analyse de la valeur-sujet ?
L’une peut venir spontanément à l’esprit, mais doit d’emblée être écartée. Elle consiste à conclure que, puisque les hommes, quels qu’ils soient, ne sont, dans le capitalisme, que des serviteurs obligés, des agents affectés et subordonnés à la valorisation de la valeur, c’est elle, c’est-à-dire son mouvement d’autovalorisation, et non eux, soumis au fétiche de la valeur-sujet, qui fait l’histoire. Or celui-ci est accumulation et inclut la tendance au développement sans fin des forces productives par le moyen du développement des sciences appliquées à la production, d’une mécanisation toujours plus perfectionnée permettant d’augmenter la productivité. Mais à la longue cette tendance finit par diminuer la quantité de travail employé à la production des marchandises, donc la substance même de la valeur. Laquelle, ainsi soumise à une inexorable cure d’amaigrissement, finirait par s’étioler au point, disent certains, de disparaître, et le capitalisme avec. La valeur serait ainsi non seulement le sujet du développement capitaliste, mais aussi de l’abolition du capital !
Tout juste leur faudrait-il aux hommes savoir mettre à profit la « fin » de ce travail pour bâtir la société communiste à partir du vide ainsi créé, ex-nihilo. Non seulement bâtir sur du vide n’existe pas, mais il suffit de rappeler ici que le capitalisme ne peut disparaître que de deux façons. Soit il entraine l’humanité dans les catastrophes de plus en plus monstrueuses et létales induites par les exigences d’une valorisation rendue de plus en plus difficile par son propre mouvement, mais qui subsistera nécessairement tant que subsisteront les rapports d’appropriation qui le fondent, quitte à ce qu’il détruise l’humanité et la planète. Soit une activité révolutionnaire communiste l’abolit en abolissant ces rapports, et la domination de la valeur-sujet avec eux. Ils ne s’aboliront pas tout seuls puisqu’ils sont organisés, promus, défendus, au premier chef par l’Etat. C’est donc la destruction de cet Etat, une révolution politique, qui est le premier pas pour abolir la valeur et sa « dictature » cachée, par le moyen d’un processus d’abolition des rapports d’appropriation capitalistes, et non l’inverse (attendre une impossible auto-abolition de la valeur pour passer quasi immédiatement à l’abolition de ces rapports et au communisme).
Il nous faut donc en revenir aux rapports entre l’activité des hommes et la volonté de la valeur-sujet : soumission intégrale et inéluctable de tous, ou possibilité d’une activité libre, révolutionnaire donc, de certains ? Ce point mérite d’être plus particulièrement développé ici, car la situation montre qu’il est d’une grande importance pratique pour la lutte de classe aujourd’hui. Et pratique veut dire concret. C’est pourquoi il convient de préciser le caractère de ces rapports selon qu’il s’agit des capitalistes ou des prolétaires.
CHAPITRE 3. COMBATTRE LE CAPITAL ET/OU COMBATTRE DES CAPITALISTES.
1) Les capitalistes comme hauts fonctionnaires du capital.
Marx, qui a découvert et démontré la thèse de la valeur comme sujet, du capital comme « selfactor », en a aussi tiré cette conséquence que les capitalistes n’agissent pas librement, mais comme « fonctionnaires du capital ». « C’est comme représentant, support conscient de ce mouvement (de la valeur se valorisant, n.d.a.) que le possesseur d’argent devient capitaliste [……] Ce n’est qu’autant que l’appropriation toujours croissante de la richesse abstraite (l’argent, n.d.a.) est le seul motif déterminant de ses opérations qu’il fonctionne comme capitaliste, ou, si l’on veut, comme capital personnifié, doué de conscience et de volonté… », son but « est le mouvement incessant du gain toujours renouvelé »[44], c’est-à-dire le mouvement sans fin de la valorisation.
« Les hommes se croient libres pour la seule raison qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés »[45]. La conscience et la volonté du capitaliste (le capitaliste en général, élément interchangeable de la classe des capitalistes) ne sont qu’un reflet, qu’une application plus ou moins exacts des exigences du capital dont il est le fonctionnaire. En dirigeant, du mieux qu’il peut, le procès de valorisation A-M-A’, le capitaliste s’imagine mettre en œuvre, avec une habileté et une compétence qui lui valent sa place de dirigeant et ses hautes rémunérations, les lois qu’il croit naturelles et éternelles de « l’économie ». Que l’argent produise de l’argent n’est pas un mystère qui le trouble le moins du monde (pas plus qu’il ne trouble d’ailleurs le moindre petit épargnant). Le gout pour l’argent, l’avidité, l’égoïsme, la concurrence, ne sont-ils pas des phénomènes naturels inhérents à la « nature humaine éternelle » ? Du moins selon l’idéologie dominante, telle qu’elle prospère sur la base des rapports sociaux de l’appropriation privée, lesquels n’ont évidemment rien de naturel ni d’éternel.
Le capitaliste croit que le profit vient de A, point de départ selon lui du procès de valorisation qu’il prend aussi pour origine au sens de cause de celle-ci. Néanmoins tous ses actes, effectués au nom de la baisse des coûts de production nécessaire pour affronter la concurrence, consistent concrètement à augmenter le rapport pl/Cv (profits/salaires) : augmentation de la productivité, de l’intensité et de la durée du travail, diminution des coûts salariaux, domination idéologique, juridique, policière, etc. en sont les méthodes générales. Ce qui manifeste bien que les efforts du capitaliste « comme support conscient » du mouvement de valorisation portent bien sur ce qui en est le moyen réel le travail salarié, plus exactement sur l’accroissement de sa fraction non payée (surtravail qui est le contenu de la pl) relativement à sa fraction payée Cv.
Support conscient de la valorisation, le capitaliste n’en est pas un agent passif. La valeur n’est pas une personne qui tirerait les ficelles d’une simple marionnette appelée capitaliste : elle doit être personnifiée. Il est, mais en tant qu’il est cette personnification, un agent actif de la valorisation. Non seulement il l’organise, mais il la généralise à toutes les activités humaines et la développe sur l’ensemble de la planète. De sorte que la même loi de la valorisation domine les individus et leurs rapports, oriente et détermine leurs activités ainsi que leur place dans la répartition des travaux et des revenus.
C’est l’Etat, quels que soient les gouvernements, qui, en tant que capitaliste en général (et général des capitalistes), assure de plus en plus, par des moyens toujours plus étendus, plus bureaucratiques, plus policiers et militaires, la fonction de défenseur et organisateur de la valorisation au fur et à mesure que l’accumulation du capital se fait aussi accumulation de ses contradictions et de problèmes de plus en plus graves. C’est un fait incontestable qui n’a pas à être expliqué ici. Ce qui intéresse notre propos, c’est de rappeler que, malgré toute la puissance dont il semble disposer pour agir à sa guise, il ne peut en réalité en user que comme, lui aussi, un instrument, un fonctionnaire du capital. Un fonctionnaire suprême qui, comme les capitalistes particuliers, peut être plus ou moins efficace dans la reproduction du capital (sa valorisation), mettre en œuvre différentes politiques en ce sens, mais toutes se fixant pour but cette reproduction, appelée « croissance » par les idéologues du capitalisme, qui se gardent évidemment bien d’en donner le contenu et la condition inexorable : croissance sans fin des profits, quoi qu’il en coûte pour l’humanité et la planète.
Les gouvernements de gauche et ceux de droite n’ont jamais différé que sur ce qu’ils pensaient être la meilleure recette pour cette croissance. La valeur-sujet leur faisait assez vite connaître son avis : c’était le fiasco assuré pour ceux qui s’avisaient d’agir, un tant soit peu, à l’encontre de sa valorisation maximum, comme parfois la gauche s’y est timidement essayé (ce qui fût beaucoup plus rare que ses promesses électorales de le faire). Engels avait déjà prévenu que si l’action de l’Etat « agit en sens inverse du développement économique […] ellefait alors fiasco à la longue… ». Ainsi « le pouvoir politique peut causer un grand dommage au développement économique et produire un gaspillage massif de force et de matière. »[46], comme il peut le favoriser s’il sait combiner habilement tous les paramètres d’une forte valorisation (qui ne sont pas que strictement économiques, puisqu’ils incluent tout particulièrement la lutte de classe, et aussi la politique extérieure, la démographie, la santé, l’enseignement, la puissance militaire, etc.).
Observons d’ailleurs que la domination de la volonté de la valeur-sujet se vérifie aussi dans cet apparent paradoxe que des membres de la classe bourgeoise qui l’exécutent se posent en « humanistes » en dénonçant, quoi qu’à minima, certains des dégâts qu’elle génère. Cela parce qu’ils s’effraient de leurs conséquences (énormes bulles financières, dégâts écologiques, révoltes grandissantes des laissés pour compte, montée et exacerbation des nationalismes, guerres qui s’en suivent, etc.) sur la croissance, la reproduction du capital et donc de cette société capitaliste où ils sont si bien. Mais ils sont incapables, quand bien même ils le voudraient, de les empêcher puisqu’ils n’en connaissent pas la cause dans le mouvement de la valeur se valorisant qui s’impose à eux en même temps qu’ils en redoutent ses effets.
2) Les prolétaires, agents subalternes, moyens du capital, et possibles acteurs de son abolition.
Dans le rapport salarial les prolétaires sont évidemment des agents de la reproduction élargie du capital puisqu’ils produisent de la plus-value. Mais, à la différence des capitalistes, ils n’ont pas pour but conscient de la produire, ils luttent même pour améliorer en leur faveur le partage salaires/pl. Ils sont des moyens du processus de valorisation, considérés comme marchandise-force de travail, simples coûts de production au même titre que les machines par exemple.
Vendeurs de leur travail acheté comme marchandise-force de travail, ils veulent évidemment en obtenir le meilleur prix. De même ils sont tentés de soutenir le capital qui les emploie, et plus largement le capitalisme national, contre leurs concurrents, puisque, de leurs succès, ou pas, à se développer (à faire du profit donc) dépend leur sort immédiat en tant que salariés. Tant que les luttes qu’ils mènent pour améliorer leur sort restent ainsi sur le plan salarial (au sens large de salaire direct et indirect), c’est-à-dire sur le plan du partage salaires/profits, elles restent bornées par les conditions de la reproduction élargie du capital, sa valorisation, c’est-à-dire soumises à la volonté de la valeur-sujet. Certes il ne s’agit pas de nier la nécessité de ces luttes permanentes « contre les empiétements du capital », mais d’en rappeler les limites, qui, aujourd’hui, en période des profondes difficultés que rencontre la valorisation, se resserrent drastiquement, au point qu’il ne s’agit plus d’obtenir un mieux, mais, au mieux, seulement un moins pire.
La bourgeoisie produit en grande quantité, et rémunère copieusement, des idéologues et propagandistes qui œuvrent avec zèle à maintenir les luttes prolétaires dans ces limites. Certains promettent de les desserrer quelque peu, notamment aujourd’hui ceux qui sont appelés « populistes » par les partisans du libéralisme qui s’auto qualifient eux de réalistes (comprendre : « vrais connaisseurs des exigences de la valorisation »). Le point commun des diverses fractions dites ainsi populistes est de prétendre pouvoir éradiquer les effets les plus néfastes du capitalisme sénile contemporain sans en connaître les causes. Mondialisation, hyper croissance du capital financier, écarts gigantesques de revenus et de patrimoines entre une poignée de riches et une masse de pauvres, destruction des « acquis sociaux », flux migratoires massifs, ils présentent tous ces effets du mouvement historique de la valorisation pour des causes. Mondialisation, Finance, Libéralisme, Argent Roi seraient les Monstres, créés selon un plan machiavélique élaboré par des capitalistes cyniques guidés par leur seule avidité sans borne, responsables de la paupérisation accentuée du peuple et des désastres écologiques. Monstres auxquels il serait possible qu’un gouvernement vraiment soucieux des intérêts du peuple oppose leurs contraires, d’autres Monstres en réalité : nationalisme et protectionnisme contre la mondialisation, étatisme contre libéralisme, capital industriel productif contre capital financier parasitaire, etc. Bref, ils prétendent pouvoir faire exister un « bon capital », un capital mythique qui existerait sans être ce qu’il est : valeur se valorisant, volonté en actes de la valeur, s’imposant quels que soient les gouvernements.
Prétendre combattre des effets dont on ignore la cause, voire dont on adore et protège la cause, la propriété privée des moyens de production c’est, au mieux, rouler le rocher de Sisyphe, et au pire, et le pire advient de nouveau avec la crise contemporaine, proposer des remèdes qui, comme l’étatisme et le nationalisme, sont pires que le mal (le libéralisme et la mondialisation) qu’ils sont supposés combattre. Rappelons que, déjà en 1848, Marx et Engels traitaient, dans le Manifeste du Parti Communiste, de fieffés « réactionnaires » ceux qui critiquaient la bourgeoisie d’avoir « enlevé à l’industrie sa base nationale » en donnant « un caractère cosmopolite à la production et la consommation de tous les pays ».
Comprendre que les capitalistes ne sont que des fonctionnaires du capital (et mieux encore comprendre la théorie de la valeur qui explique cette assertion) est d’une grande importance aujourd’hui. En effet dans cette époque de crise aigüe du capital devenu sénile, les prolétaires, et plus largement les masses populaires, sont mis en situation de révolte, et de plus en plus puisque, conformément à leur fonction, les capitalistes sont obligés de dégrader sans cesse davantage leurs conditions de vie pour satisfaire aux exigences d’une valorisation qui manque drastiquement de son carburant, le travail productif de pl. Mais pour le moment cette révolte se cristallise contre les dirigeants en place, et non contre le capital lui-même dont ils ne sont que l’incarnation, les fonctionnaires. C’est ainsi, par exemple, qu’on a vu lors d’élections dans de nombreux pays avancés dans la sénilité capitaliste, se multiplier les candidats se disant « antisystème », ceci voulant simplement dire qu’ils voulaient devenir eux-mêmes à leur place les fonctionnaires du système capitaliste qu’aucun n’envisageait une seconde d’abolir !
Le fait que le capitaliste soit personnellement fort intéressé à faire suer le maximum de pl puisque, en quelque sorte comme tout haut collaborateur d’un patron (ici la valeur-sujet), il reçoit une part des bénéfices sous forme de très grasse rémunération, fait croire aux salariés exploités que c’est sa personne, avide, cynique, égoïste, brutale, qui crée toutes les misères et catastrophes dont souffrent les peuples. Mais il faut bien que le capitaliste soit ainsi intéressé aux résultats de son travail et qu’il ait ce genre de qualités pour être un fonctionnaire efficace de la valorisation. D’où le fait que la plupart des victimes du MPC se pensent victimes de méchants capitalistes, pas du capital. La solution serait donc de remplacer les méchants par des bons, qui, eux, seraient soucieux du bien commun bafoué, nié par une poignée d’oligarques, autrement dit soucieux de l’intérêt général (comme s’il en existait un dans une société de classes), celui donc de la Nation, de la Patrie, bref d’une communauté imaginaire. Des charlatans politiques, bonimenteurs médiatiques, promettent d’être ces bons, prétendant être la voix du peuple sans voix, voire l’incarnation du peuple sans existence propre. L’objectif de ces charlatans, prétendument « insoumis » mais dangereux « patriotes », est de prendre la place des fonctionnaires du capital en place, leur action est de détourner les prolétaires de la lutte contre le capital en la limitant à un vote pour changer certains de ses fonctionnaires. C’est pourquoi il est d’une grande importance pratique de comprendre que lutter contre « le système » ce n’est pas mettre d’autres individus dans les mêmes cases du même système capitaliste.
Evidemment la lutte de classe n’est pas désincarnée. Bien sûr les prolétaires ne luttent pas d’emblée contre « le capital », mais d’abord pour des besoins auxquels s’opposent des capitalistes, des Etats, des forces armées, et c’est évidemment une tautologie de dire que la lutte de classe oppose des personnes. Donc, certes, combattre le capital implique de virer tous les hauts fonctionnaires du capital, dans tous les domaines économique, idéologique, médiatique, étatique, etc. Mais cela ne mène à aucun changement, si ce n’est pas une mesure insérée dans un mouvement révolutionnaire pour abolir les rapports sociaux d’appropriation privée, les divisions sociales du travail qui produisent et reproduisent sans cesse le capital, son mouvement automate de valeur se valorisant qui engendre inéluctablement de tels fonctionnaires, les classes, l’Etat (comme l’ont bien prouvé les révolutions passées, russe et chinoise).
A bien y regarder, ce n’est pas tant en tant que personnes que les capitalistes sont dangereux et « méchants », que parce qu’ils sont soumis à la volonté du capital, qu’ils l’exécutent dussent-ils (et ils le doivent, et ils le font) agir comme des gangsters et des assassins. On peut les condamner de s’enrichir sans vergogne, de jouir de leur situation, tout en œuvrant avec le plus grand zèle et par tous les moyens à faire suer la pl, à détruire hommes et nature. Ce n’est évidemment pas rien ! Criminels, ils le sont. Et c’est peu dire. Mais quels que soient les individus, en tant que capitalistes – et le capital produira toujours des capitalistes – ils ne peuvent se permettre aucun état d’âme, aucune faiblesse, aucune pitié dans l’extorsion du maximum de pl. Sinon, pas seulement eux mais le capital qu’ils gèrent, et tous les employés de ce capital, seraient balayés, éliminés par la concurrence. De sorte qu’ils n’ont aucun doute sur le fait qu’ils agissent pour le mieux, en fonction de la « réalité des lois économiques » qu’ils sont bien obligés d’appliquer (ce ne sont pas eux qui sont dures, clament-ils, ce sont ces lois). Et que ce faisant ils font œuvre utile en faveur de la croissance, de l’emploi, du niveau de vie général, etc. Ce qui mérite bien applaudissements, légions d’honneur, hautes rémunérations et remerciements du peuple !
Si donc il s’agit d’abolir le capital et pas seulement de changer ses fonctionnaires, qui serait le sujet d’un tel processus révolutionnaire ? Vu ce qui a été affirmé précédemment concernant la domination de la volonté de la valeur-sujet sur les individus du MPC, la question se pose s’il en existe certains qui ne soient pas, ou pas seulement soumis à cette volonté, qui ne soient pas seulement des agents de la reproduction du capital. La réponse, l’histoire nous l’a apprise depuis longtemps, ce sujet c’est le prolétariat, c’est-à-dire les prolétaires organisés en classe luttant pour abattre l’Etat bourgeois et entreprendre un processus conduisant à l’abolition de la condition prolétaire et de l’ensemble des rapports sociaux capitalistes.
Certes, dans la mesure où ils reçoivent leurs salaires du capital (en réalité ce sont eux qui produisent cet argent ainsi que le capital), ils en souhaitent la croissance. Mais dans la mesure où celle-ci se fait à leurs dépens, bien plus à l’avantage du capital et de ses fonctionnaires qu’au leur, que leur travail se fait toujours plus abrutissant, répulsif, sans intérêt, et avec la crise contemporaine, toujours plus précaire, aléatoire, moins payé, et même tend à disparaitre pour faire place à un chômage chronique et massif, leur hostilité à l’égard des conditions de vie qui leur sont faites croît et se développe en révoltes, germes de luttes révolutionnaires futures, comme elles l’ont été dans le passé. Et elles deviennent telles lorsque les circonstances historiques amènent les prolétaires à se former comme classe contre l’Etat, pour le détruire et non pas seulement en changer les dirigeants.
Mais ce n’est pas ici le lieu de rappeler ce qu’est ce processus révolutionnaire, ni pourquoi le prolétariat en est le sujet, seul capable de le mener jusqu’au bout : l’abolition de la condition de prolétaire, en même temps que celle de la propriété des moyens de production et de la domination aveugle de la valeur qui en découle. Redisons seulement ceci qui concerne la question que pose l’analyse marxiste de la domination de la volonté de la valeur, du capital comme valeur se valorisant tel un automate : le sujet de la révolution abolissant le « système » capitaliste, ce ne sont pas les prolétaires dans leurs rapports particuliers, privés ou corporatistes, avec le capital qui les emploie (ou par qui ils espèrent être employés, par exemple l’Etat agissant comme capitaliste national), c’est-à-dire les prolétaires enfermés dans les limites du rapport salarial. Ce sujet, c’est le prolétariat comme classe, se formant comme tel contre la bourgeoisie comme classe, c’est-à-dire d’abord comme Etat. Plus encore, c’est le prolétariat mondialisé contre le capital mondialisé. Tout ce qui aujourd’hui cherche à limiter la lutte prolétaire à une lutte réformiste pour l’amélioration du niveau de vie matériel est voué à l’échec étant donné les obstacles objectifs auxquels se heurte la valorisation. Tout ce qui, pour cela, veut enfermer les prolétaires dans le nationalisme, la soi-disant possibilité d’une croissance économique nationale, c’est-à-dire d’un développement du capital national, dont les prolétaires profiteraient grâce à un Etat patriote, gouverné par des dirigeants « au service du peuple », les enchaîne à un espoir insensé, est pure charlatanerie réactionnaire (au sens littéral du terme : retour en arrière), mène non seulement à l’échec, mais au chaos économique, à la division des peuples, aux guerres et à la barbarie.
CHAPITRE 4. DETERMINISME ET VOLONTE.
Souvent on croit qu’une révolution n’est qu’une question de volonté et de courage. Mais bien sûr il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir. Si ce sont bien effectivement les hommes qui font leur histoire, et se font eux-mêmes, il faut préciser, en rappelant cette très juste observation de Marx, qu’ils ne peuvent la faire qu’à partir des conditions qu’ils trouvent, léguées par les générations précédentes, et qui déterminent le possible, dans toute son ampleur, mais aussi ses limites historiques objectives, que seule la poursuite d’un processus révolutionnaire peut, éventuellement, dépasser. Ces conditions existantes, au premier rang desquelles se trouve le niveau de développement des forces productives, déterminent les possibilités de transformation des rapports de production (i.e. de propriété, de classe), des individus, de leurs besoins, de leurs idées, etc., dans certaines limites. Par exemple, et pour ne citer que celui-là, il n’est pas possible d’abolir le prolétariat (et donc aussi la bourgeoisie, le capital) tant que les forces productives ne sont pas suffisamment développées pour permettre l’abondance du temps libéré du travail contraint. Abondance qui est une condition pour le développement de multiples qualités et compétences chez chacun, donc la capacité à s’approprier collectivement la maîtrise des conditions de la production de la société et des personnes. Processus d’appropriation qui est dialectiquement lié à un processus d’abolition de la domination de la valeur-sujet (plus généralement du fétichisme de la marchandise, et donc de toutes les idéologies, religieuses et bourgeoises, économiques et politiques, qui en découlent, qui sont des formes concrètes de ce fétichisme). Propriété (juridique, financière) et possession (maîtrise concrète, en actes) privées des conditions de la production et capital « automate » vont de pair, leur abolition aussi.
Ces généralités sur les rapports volonté subjective/conditions objectives, autrement dit sur le fait que « la liberté est l’intelligence de la nécessité », étant rappelées, on peut poursuivre en rappelant également, en un très bref résumé, ce qu’il en est de ces conditions dans la situation contemporaine du capital.
Ce qui la caractérise le plus profondément, et que révèle parfaitement l’analyse de la crise actuelle, c’est qu’il s’agit d’une crise due à la sénilité avancée du capital. C’est-à-dire que le mouvement d’autovalorisation qui est l’existence du capital rencontre une difficulté structurelle, historiquement définitive, qu’il a lui-même créée dans son mouvement historique antérieur : la diminution drastique de la quantité de travail productif de pl qu’il peut employer. Non seulement d’ailleurs la quantité de ce travail, mais, par contre coup, celle du travail en général qui, tendanciellement, et à part quelques épisodes de « reprise » aussi faibles que provisoires, décline à partir de la fin du 20èmesiècle-début du 21ème.
Cette diminution est, potentiellement, un facteur révolutionnaire objectif considérable. Et doublement :
1°) Elle affaiblit le capital en tant valeur se valorisant, puisque c’est ce travail productif qui est le moyen de ce mouvement. Le capital œuvre ainsi à sa propre disparition.
2°) L’énorme potentiel de temps libre (libéré ou, beaucoup plus encore, libérable de la nécessité du travail contraint) est une condition essentielle – devenue aujourd’hui possibilité – pour que, s’emparant du pouvoir politique, les prolétaires puissent aussi, en même temps que le temps pour l’exercer, rapidement s’approprier les conditions, intellectuelles notamment, de la maîtrise de la production, de la construction de la nouvelle société communiste, et de leur propre développement personnel.
Si le capital est « contradiction en actes » en œuvrant à sa propre disparition en même temps qu’il s’accroît, il n’en crée que les conditions. Si, sénile, il ne peut plus aujourd’hui inverser le mouvement qui fait de plus en plus obstacle à la valorisation (la baisse de la quantité du travail productif de pl) il ne disparaîtra de lui-même qu’en entraînant dans sa mort celle de l’humanité et de la planète. C’est que la valeur fait toujours valoir sa volonté tant qu’elle existe, c’est-à-dire tant que les rapports sociaux d’appropriation privée existent et l’engendrent. Les fonctionnaires du capital sont là pour ça. Indépendamment des personnes qui exercent ces fonctions, ils n’ont aujourd’hui pas d’autres choix possibles, pour maintenir coûte que coûte la valorisation, que ceux qui conduiront à plus de brutalités, de despotisme, d’exploitation, de spoliations, de paupérisme, de précarité, de chômage, de famines, de guerres, de destructions des ressources naturelles. Cela est d’ailleurs une tendance déjà bien à l’œuvre, parfaitement visible. Mais le capital est aujourd’hui comme un pendu qui se débat encore : plus il s’agite désespérément, plus le nœud coulant se resserre. Plus il pratique « l’austérité », moins il peut nourrir de travailleurs, et moins les travailleurs peuvent le nourrir. C’est une certitude : sauf à ce qu’une révolution ne l’abolisse, le capital entraîne inexorablement l’humanité et la planète à la ruine.
Mais en même temps qu’il œuvre ainsi à sa propre disparition, le capital a créé les conditions matérielles d’une possible révolution communiste (en résumé : l’abondance potentielle de temps libre), et la force, également potentielle, pour la faire : les prolétaires, une masse immense et mondiale de prolétaires. En étant obligé de brutaliser à outrance ces prolétaires, le capital accroît rapidement les antagonismes de classe. Et c’est là que nous en revenons au sujet particulier de cet ouvrage. Car si partout gonflent les colères, les émeutes, les révoltes, partout aussi les luttes prolétaires ne visent, pour l’essentiel, que les « Monstres » évoqués ci-dessus, chapitre 3. C’est-à-dire ne visent que des effets du capitalisme sénile, et, si elles parviennent à en limiter un peu certains, n’en éradiquent pas les causes.
Si autrefois de telles luttes permettaient aux prolétaires d’obtenir quelques avantages matériels appelés « réformes », il ne peut plus en être ainsi aujourd’hui. Le capital sénile n’a absolument pas d’autres choix que d’aggraver l’ensemble des conditions de travail (pour ceux qui en ont un) et de vie des peuples. Ce que les luttes bornées à l’amélioration du rapport salarial, respectueuses des rapports de production capitalistes et de leur traduction juridique et politique, peuvent obtenir de mieux aujourd’hui n’est que, de très peu et momentanément, modérer cette aggravation.
Bref, la situation actuelle implique qu’il est non seulement absolument nécessaire, question de survie de l’humanité, d’abolir le capital, mais aussi que les conditions matérielles pour y réussir – notamment l’abondance potentielle de temps libre – existent. Pour avancer dans cette tâche il faut combattre les charlatans qui prétendent pouvoir dompter la volonté du capital, supprimer ses effets néfastes sans l’abolir, pouvoir instaurer un « bon » capital qui serait au service de « l’humain d’abord » au lieu d’être valeur se valorisant, ou plutôt en même temps puisqu’ils ne jurent que par sa croissance qu’ils se font forts de rétablir à grand coups de mesures protectionnistes et de replis nationaliste ! Ils sont souvent appelés « populistes » par les médias, comme s’ils étaient le peuple ou représentants ses intérêts contre ceux des « élites » qu’ils veulent « dégager » pour simplement occuper les mêmes places, exercer les mêmes fonctions quand bien même ce ne serait pas exactement de la même façon.
S’il convient de combattre tout particulièrement de tels charlatans c’est, qu’au moment même où croissent les révoltes, ils s’acharnent à les détourner de la voie révolutionnaire communiste en exploitant à fond cette idée, populaire mais superficielle, qui fait croire que ce sont certains individus, de mauvais capitalistes, de mauvais gouvernement, et non pas le capital, qui sont la cause des drames contemporains. Il convient donc parallèlement de trouver les moyens de lier les luttes contre ces drames, c’est-à-dire les luttes contre les effets du capital par quoi toute révolte commence, à une lutte contre le capital. Cela passe par la voie d’une lutte contre l’Etat et pour développer le potentiel révolutionnaire du temps libre, première étape pour unir les prolétaires enfermés dans les rapports salariaux, donc soumis aux exigences et aléas de la valorisation du capital, en prolétariat, c’est-à-dire en classe se formant libre et indépendante contre l’autre en s’engageant sur la voie révolutionnaire de l’abolition des classes.
Il y faut l’intervention d’un nouveau parti communiste, une organisation qui soit comme le catalyseur de cette transformation des prolétaires en prolétariat. Pour ce faire il doit, entre autres, avoir compris la racine du phénomène de l’autonomisation de la valeur-sujet, du capital « automate ». Ce qui nous ramène au fait que, dans les rapports sociaux de la propriété privée des moyens de production, le travail concret, qui produit les marchandises comme valeurs d’usage, n’est socialisé que sous forme de travail abstrait. Le concept de travail abstrait était au début de ce texte. Pour bien montrer l’utilité de s’en emparer, il en sera à la conclusion. Elle résumera quelques-unes des raisons, celles qui ont été examinées dans ce texte parce qu’en rapport avec cette fausse réponse à la crise qu’est la montée des mouvements « populistes », qui font que cette abstraction, purement théorique, rebutante à première vue car demandant un effort certain pour être comprise, est importante pour la pratique, la juste orientation et le succès de la lutte du prolétariat.
CHAPITRE 5. EN RESUME : TRAVAIL ABSTRAIT ET LUTTE DE CLASSE.
1) Seule la compréhension du travail abstrait comme substance de la valeur des marchandises (M) permet de comprendre pourquoi celles-ci, et avec elles le travail concret et les valeurs d’usage qu’elles représentent, ne peuvent se socialiser que comme valeurs d’échange, une forme qui prend concrètement celle de l’argent (A). Dans l’argent la marchandise exprime sa valeur dans un rapport avec une autre marchandise qui lui est étrangère, extérieure. Du fait de cette extériorité l’argent, donc la valeur en général puisqu’il les représente toutes, accède à l’autonomie, laquelle se développe d’autant plus que la forme argent se fait monnaie sous des formes elles-mêmes indépendantes de tout travail productif de richesse (monnaie fiduciaire, scripturale, numérique). Avec la généralisation des échanges, l’argent se développe comme représentant général de toutes les valeurs, comme richesse abstraite, richesse en soi, autonome, détachée du travail concret et des valeurs d’usage, lesquelles n’ont pour lui aucun autre intérêt que d’être son support, le moyen de faire circuler l’argent, but des échanges. Ce qui induit nécessairement, automatiquement le mouvement A-M-A’, mouvement d’autovalorisation dont le capital, comme rapport de production, est la mise en œuvre. Il n’existe (et avec lui la société capitaliste) que comme « valeur se valorisant ». Les capitalistes ne sont que ses fonctionnaires, plus ou moins compétents, habiles et chanceux (le hasard jouant aussi un rôle certain dans leurs réussites ou leurs échecs).
2) Seul le travail abstrait comme substance de la valeur explique l’autonomisation de celle-ci dans l’argent, et par là, la domination sur les comportements des individus du MPC, du mouvement d’accroissement de l’argent (de valorisation de la valeur) devenant automate, capital automate, « selfactor ». C’est une des raisons pour lesquelles Marx estimait cette découverte comme la plus fondamentale qu’il ait faite. La critique fondamentale qu’il portait à l’égard de son principal et plus brillant prédécesseur, Ricardo[47], était de ne pas avoir compris l’origine et l’essence de l’argent dans cette substance de la valeur : le travail abstrait. Et donc de ne pas avoir compris pourquoi les marchandises devaient nécessairement poursuivre le procès de leur production jusqu’à s’échanger contre de l’argent, marchandise spéciale forme apparente, concrète du travail abstrait, de la valeur. Il ne voyait (et avec lui presque tous les économistes jusqu’à aujourd’hui) l’argent que comme grandeur d’une quantité de travail dont il ne saisissait pas la substance particulière. Ce qui, concluait Marx, le rendait incapable de comprendre l’argent comme « figure libre », forme autonomisée de la richesse, et le procès de production comme entièrement déterminé par le procès de valorisation, procès d’autovalorisation dans lequel moyens de production et producteurs n’y sont que des rouages (sauf à s’y opposer radicalement, pour l’abolir).
3) A propos des capitalistes Marx a écrit : « Je n’ai pas peint en rose le capitaliste et le propriétaire foncier. Mais il ne s’agit ici des personnes qu’autant qu’elles sont la personnification de catégories économiques, les supports d’intérêts et de rapports de classe déterminés. Mon point de vue, d’après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la marche de la nature et à son histoire peut moins que tout autre rendre l’individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu’il puisse faire pour s’en dégager. »[48]
Dire que le capitaliste n’est pas responsable des rapports sociaux qui le font ce qu’il est n’est exact que dans la mesure où il ne sait pas qu’il est le produit de ces rapports. Mais « l’ignorance n’est pas un argument », et il n’en reste pas moins qu’il est responsable à titre personnel vis-à-vis de ceux qu’il brutalise, paupérise, tue. Ce qui est vrai, c’est que mettre hors d’état de nuire la créature, le capitaliste, ne supprime pas ce qui la crée et recrée tous les jours : ces rapports sociaux d’appropriation privée qui engendrent la valeur-sujet et le capitaliste comme fonctionnaire, personnification du capital automate.
En tant que tel dit Marx, « son gain individuel » n’est pas « le but immédiat du capitaliste […],mais seulement le mouvement sans trêve du gain… »[49], celui de la valorisation permanente, de la reproduction toujours plus élargie du capital. Il faut toujours réinvestir A’, puis A’’, et ainsi de suite pour maintenir l’existence du gain et celle du capital qui est ce mouvement. Si l’argent est thésaurisé, ou s’il disparait dans la consommation personnelle, le luxe, la débauche, la guerre, etc., il n’existe plus comme capital. Le capitaliste qui respecte et assume consciencieusement sa fonction doit plutôt investir que consommer, être soucieux des gains futurs qui sont la condition de la perpétuation du capital, plus que des gains immédiats et d’amasser des richesses personnelles, il doit reproduire le capital, non le dilapider : c’est une remarque que faisait Marx bien avant Weber et son archétype du capitaliste protestant (très relativement) sobre et austère. C’est aussi le type de capitaliste que vénèrent les idéologues dits de gauche, qui reprochent aux « mauvais » capitalistes de se gaver personnellement hors de toute mesure au détriment d’investissements en faveur de la croissance ! Ils ignorent que la dégradation du rapport investissements/distribution des profits tient moins à l’avidité sans limite de ces individus qu’à l’obstacle que le mouvement de la valeur a fini par dresser lui-même à l’encontre de la valorisation : la diminution drastique de la quantité de travail productif de valeur.
C’est là un point très important à comprendre pour que la révolte des masses, qui grandit rapidement en même temps que s’aggrave la crise, sache à quoi s’en tenir quant à son ennemi, le capital plus que les capitalistes, et quant à l’impérieuse nécessité, en même temps que la formidable possibilité d’abolir le capital, la condition de prolétaire en même temps que les fonctions du capitaliste.
POSTFACE.
A PROPOS DU « POPULISME » : UN COMMENTAIRE DES ELECTIONS DE 2017 EN FRANCE.
Ces élections sont une occasion pour revenir sur le qualificatif « populisme », terme mystificateur comme on va le voir, mais abondamment utilisé dans les médias pour stigmatiser les partis FN et Insoumis. La montée de l’influence de ces partis auprès d’un nombre non négligeable de prolétaires a en effet bien montré l’importance qu’il y avait à mener combat sur le fait qu’il ne sert à rien de remplacer, comme ils le préconisent, des dirigeants du MPC par d’autres qui se prétendent « anti système » alors même qu’ils n’aspirent qu’à diriger eux-mêmes ce système dans le but avoué de mieux stimuler sa « croissance », c’est-à-dire la valorisation et l’accumulation du capital.
Ce petit livre a rappelé pourquoi les géniaux travaux de K. Marx permettent d’affirmer que, dans ce MPC, c’est le mouvement d’autovalorisation du capital, autrement dit le capital n’existant que comme valeur se valorisant, qui dirige les agents de la production, et non pas eux qui dirigent le capital. Eux, c’est à dire principalement ceux qui occupent les postes les plus élevés dans les entreprises, les médias, la finance et, notamment, les appareils de l’Etat, et qui s’efforcent d’assurer une reproduction toujours plus élargie du capital (son accumulation). Ils sont, et ne peuvent être, que les « fonctionnaires du capital ».
Ces élections ont été, tant par la montée des votes « populistes » que par celle de l’abstention, une manifestation parmi d’autres de l’aggravation de la crise politique. Cette tendance accompagne évidemment celle de la dégradation constante de la situation des masses populaires due à la crise. C’est-à-dire due aux décisions que doivent nécessairement prendre ces fonctionnaires pour essayer de relancer la valorisation du capital, sans pourtant qu’ils puissent y parvenir du fait de la qualité des obstacles auxquels se heurte celle-ci, au premier rang desquels il y a la diminution drastique de la quantité de travail productif de valeur que le capital peut employer du fait du niveau très élevé atteint par les progrès des sciences appliquées à la production (développement de la machinerie automatisée). Ce qui les amène à devoir amplifier toujours davantage cette dégradation, la paupérisation des masses, en même temps que de durcir le côté totalitaire et policier du pouvoir bourgeois afin de contenir les résistances que ne manque pas de susciter cette politique (durcissement qui s’amplifiera évidemment si celles-ci prennent consistance). Dans un mode de production qui engendre non seulement l’Etat comme devant assurer la valorisation du capital, mais aussi l’idéologie que l’Etat doit et peut assurer, en même temps que cette croissance, l’emploi, le niveau de vie, la santé, bref, le bien-être général, il n’est pas étonnant que les partis politiques qui le gouvernent, et d’une façon générale ceux qui sont la soi-disant « élite », soient jugés responsables de ne parvenir qu’à l’inverse, et soient donc déconsidérés. Et ils le sont d’autant plus que, dans une telle situation de pourrissement, le carriérisme, le népotisme, les prébendes, les privilèges, qui sont monnaie courante dans ces milieux, apparaissent beaucoup plus insupportables qu’auparavant.
L’abstention record lors de ces élections, remarquablement massive dans les populations prolétaires, indique que l’expérience fait petit à petit son œuvre : ce n’est pas par ce genre d’élections que leur situation peut s’améliorer. Parmi les, grosso modo, 50% des français en âge de voter qui l’ont fait, une majorité écrasante l’ont fait en faveur de partis se présentant comme « dégagistes » (les Insoumis et le FN, En Marche). Cette propension au « dégagisme » est une tendance en marche un peu partout dans le monde, que traduit bien la formule d’apparence radicale à la mode dans de nombreux pays : « qu’ils s’en aillent tous ». Comme si cela pouvait suffire à changer quoi que ce soit, sinon que les fonctions de capitalistes ne seraient pas assurées par les mêmes personnes.
En 2013 j’écrivais, dans l’ouvrage « La montée des extrêmes, de la crise économique à la crise politique »[50] : « Il est assez probable que […] les forces politiques traditionnelles de l’alternance droite-gauche, qui, depuis longtemps, ne constituent une alternative, soient déconsidérées au point d’avoir à céder la place à l’une de ces forces qu’elles qualifient de « populistes », « protestataires », « extrémistes ». Je n’avais pas prévu que, pour contrecarrer cette éventualité qui, bien que ne remettant pas en cause le MPC, ne lui convient pas puisqu’elle accentuerait incontestablement le chaos économique en ruinant davantage le procès de valorisation – la bourgeoisie serait assez finaude pour surfer elle-même sur la vague du dégagisme en construisant, vite fait bien fait, tous les principaux médias à la manœuvre, la candidature d’un Macron et le mouvement En Marche, c’est-à-dire en remplaçant bonnet blanc par blanc bonnet, vieux personnel déconsidéré par les mêmes en plus jeunes, mais résolus à appliquer la même politique. Succès qui est toutefois à relativiser fortement puisque seulement un maigre quelques 15% des français en âge de voter, presque tous des bourgeois, ont voté en faveur de cette manœuvre.
Ceci dit l’expérience Macron n’écartera que très provisoirement la montée du dit « populisme » puisqu’elle ne sera que la poursuite, accentuée, de la tendance à la dégradation accélérée des conditions de vie des prolétaires, et même des petits bourgeois, ci-dessus évoquée. Car si le FN et les Insoumis ont eux aussi le dégagisme dans leur programme, ils ne se contentent pas de vouloir virer les dirigeants déconsidérés. Ils cherchent, eux, à capter la colère en proposant une autre politique qui serait une soi-disant solution à la crise de valorisation du capital. Notamment ils promettent de stimuler une croissance du capital qui soit mise au service d’un peuple prétendument au pouvoir par leur intermédiaire. Cela par le moyen d’un renforcement du rôle de l’Etat qui, organisant un retour au protectionnisme et au nationalisme, dominerait les Monstres de la mondialisation, de la finance, du libéralisme, des multinationales, et obligerait le capital à la fois à réduire les dividendes, à investir, à embaucher, à augmenter les salaires (directs et indirects), financer les services publics,[51], etc. Et, qui plus est, comble de la bêtise ou de la supercherie, tout cela au moment même où les conditions objectives de sa valorisation sont, inexorablement et historiquement, en voie d’extinction.
Dans la mesure où ce dit « populisme » attire ainsi dans ses filets une partie non négligeable de ceux qui enragent de voir leur situation se dégrader implacablement, et comme il est particulièrement réactionnaire et dangereux, car assez efficace dans le dévoiement et l’étouffement de la lutte de classe, il est utile de rappeler ce qu’il est afin de pouvoir mieux le combattre.
Observons d’abord que ces tribuns forts en gueule qui en appellent au « peuple » pour dégager à leur profit les « élites » en place entretiennent une confusion. Pour eux il existerait comme une unité réelle, comme s’il y avait un intérêt commun entre les 99% qui pour eux sont le peuple face aux 1% qui sont l’oligarchie. Comme si ce mot magique et passe partout pouvait faire disparaître la réalité des classes sociales antagoniques ou, à tout le moins, aux intérêts divergents et contradictoires. L’usage qu’ils font de ce mot n’est pas le fait d’une simple facilité de langage. Pour eux « peuple » renvoi à l’idée d’une véritable communauté d’individus, qui a évidemment aussi pour noms ceux de Nation, de Patrie, purs produits de l’idéologie bourgeoise s’il en est. Le peuple est national, et la Nation doit se défendre contre les Nations concurrentes, contre l’oligarchie cosmopolite (mondialiste) sans Patrie, contre les étrangers, etc.
Mais le plus important n’est pas qu’il y ait des idéologues et chefs populistes qui tentent de faire exister et d’incarner le mythe du peuple uni dans un commun nationalisme. Il est qu’il faut, pour les combattre, comprendre pourquoi, sur quelles bases matérielles, nombre d’individus, y compris chez les prolétaires, y adhèrent. Et ces bases se sont celles des rapports de production qui définissent le capital et engendrent les idéologies du « fétichisme de la marchandise » et de l’Etat qui ont été brièvement expliquées dans ce petit livre.
Comme il y a été rappelé, le premier désigne le fait que, dans le MPC, c’est le capital, qui n’existe que comme « valeur se valorisant », qui impose nécessairement et implacablement les lois de cette valorisation aux agents de la production, et c’est le rôle des capitalistes et de leurs Etats de faire de leur mieux pour y réussir. Mais comme ces agents ne voient l’économie que comme des rapports entre marchandises, qu’ils ne connaissent qu’à travers des formes apparentes de la valeur qui semblent n’avoir aucun rapport avec sa substance (le travail socialisé sous forme de travail abstrait) tels que les prix, les profits, les taux d’intérêt et de change, etc., ils croient dur comme fer qu’il s’agit là de formes naturelles, éternelles, qui règlent ces rapports entre choses, les marchandises. Et que tout cela est calculable, gérable rationnellement. Ils ignorent qu’en fait ils ne font que proposer ce qu’ils pensent être (et ils se trompent souvent) la meilleure valorisation du capital, sa plus forte reproduction. Cela tout en ignorant parfaitement ce qui en est la seule base : le travail humain productif de plus-value. D’où, par exemple, leur totale incompréhension de la crise actuelle et leur impuissance à la résoudre. Elles sont la conséquence de leur incapacité à comprendre – et parce que ce serait les remettre en cause, ce qui heurte leurs intérêts de classe – que l’économie c’est certains rapports de propriété et de production entre les hommes, d’où découle un mode de répartition des travaux et des produits (de leurs échanges). L’économie n’est pas une science naturelle, mais historique et politique.
Le deuxième désigne l’idéologie selon laquelle l’Etat ne serait qu’un appareil technique, administratif, qui pourrait donc, aux mains d’un gouvernement ad hoc, « populaire », assurer une gestion rationnelle et équitable de « l’économie » (comme si elle pouvait être autre chose que la valorisation du capital) ainsi mise au service d’un mythique « intérêt général ». Il suffirait, par exemple, pour les « populistes », que l’Etat décide de modifier en faveur des travailleurs le rapport entre salaires et profits, ou/et de réinvestir une plus large part de la pl plutôt que de la distribuer aux actionnaires, ou/et de dévaluer la monnaie en sortant de l’euro, pour relancer la croissance du capital, créer des emplois et le bien être pour tous.
Comme nous l’avons vu, les bases matérielles de ces fétichismes, des idéologies qui en découlent, sont les rapports marchands et capitalistes de propriété, autrement dit de production. Ce sont eux qui induisent que ces rapports entre des hommes prennent la forme apparente de rapports entre des choses, les marchandises. Et, comme nous l’avons vu aussi, il en découle alors que, loin de pouvoir diriger l’économie, ce sont les hommes qui sont dirigés par la volonté de la valeur-sujet, par le mouvement inexorable de l’autovalorisation du capital automate. Dans le MPC le procès de production n’existe que comme support du procès de valorisation. Le capital n’existe que comme valeur se valorisant. Le capitaliste n’a pour fonction et seule qualité que d’être le plus efficace possible dans la mise en œuvre de la valorisation du capital qu’il personnifie, s’il y échoue ils disparaissent tous deux. Vouloir mener une politique contraire à ces lois sans entreprendre d’abolir ce qui les fonde, c’est courir au chaos et à l’échec. D’ailleurs tous les économistes, de droite comme de gauche, ne font qu’expliquer, chacun avec leurs recettes (libérales, sociales, keynésiennes, monétaristes, etc.) ce qu’il faudrait faire pour que la croissance du capital – donc de la pl, de la valorisation soit la plus forte possible.
Alors qu’est-ce que le « populisme » ? C’est le fait qu’une masse hétéroclite d’individus appelée « peuple » réagit à la crise qui les frappe tous – et c’est là leur seul point commun – selon les affirmations mystificatrices de l’idéologie bourgeoise elle-même. Ils le font en la prenant au mot, en poussant ses mythes à leurs extrémités. Notamment en exigeant de l’Etat, puisqu’il est, selon cette idéologie, supposé pouvoir le faire et représenter l’intérêt général, qu’il contraigne les capitalistes et le capital (supposé n’être que des moyens de production, des choses dont on peut disposer à sa guise) à servir le peuple, à préférer « l’humain » plutôt que les profits, à développer la production indépendamment de la valorisation, et autre balivernes. Ils tiennent le langage dit de gauche qui consiste à prétendre pouvoir élever le niveau de vie du peuple en restaurant l’autorité de l’Etat sur l’économie, et la grandeur de la Nation méprisée et foulée aux pieds par des capitalistes apatrides (mondialistes). Funeste tromperie, qui constitue néanmoins le facteur subjectif de leur popularité.
La bourgeoisie dominante a fabriqué et use jusqu’à plus soif du terme « populisme » dans un but de stigmatisation. Par là les « élites » en place veulent condamner avec mépris les exigences de gens qui ne comprennent rien aux lois dites par elle « économiques », voulant dire par là que les lois de la valorisation sont naturelles, indépendantes des rapports sociaux, non spécifiques au MPC. Selon elle, seuls des gens ignares, excités par des démagogues, s’y opposeraient en voulant « dégager » les élites qui les appliquent. Et quelles élites ! Tellement savantes qu’elles n’ont strictement rien compris aux causes de la plus grande crise de l’histoire du capitalisme, de même qu’elles sont absolument impuissantes à en empêcher l’aggravation. Bien au contraire, toutes les mesures qu’elles prennent pour tenter d’y parvenir ne font que réunir les conditions de son aggravation, notamment d’un prochain et gigantesque krach financier. Elles ne peuvent pas comprendre pourquoi le mouvement historique et automate de valorisation du capital est en train de s’auto-bloquer puisque c’est le capital lui-même qui supprime ses bases : le travail humain productif de pl.
Protester contre les mesures de paupérisation généralisée que ne cesse d’accentuer la bourgeoisie est bien la moindre des choses, « le minimum syndical » comme on dit. Ce n’est pas cela que l’on puisse reprocher aux individus attirés par les partis « populistes ». Et s’il y a chez eux effectivement encore beaucoup d’ignorance quant aux causes de la situation, elle n’est pas pire que celle dont font preuve les élites arrogantes qu’ils veulent « dégager ». Donc, bien évidemment, la critique qui est à développer à l’encontre du dit « populisme » est toute différente de celle que lui assènent les « élites » intellectuelles, économiques, politiques et médiatiques bourgeoises qui, ajoutant une incroyable pédanterie à leur crasse ignorance, pètent bien plus haut que leurs culs.
Elle est, qu’en tant qu’il est un extrémisme bourgeois, le « populisme », non seulement n’apporte aucune solution viable à la crise de valorisation du capital (et sur ce point les dites élites bourgeoises ont raison, sauf qu’elles sont dans le même cas), mais pire, et comme d’ailleurs l’expérience des années 30 l’a déjà montré, cet extrémisme est une préparation à une sorte de néofascisme du 21èmesiècle. Disons plutôt, car le niveau du développement du capitalisme n’est plus du tout le même aujourd’hui (ce point serait à développer ultérieurement), à une accélération rapide de la tendance historique du capitalisme au totalitarisme, conséquence d’une forte accentuation de la concentration du capital que génère la crise, et comme réponse à l’aggravation des antagonismes qu’elle implique[52].
J’ai placé ce bref commentaire sur les élections de 2017 en France en postface du présent ouvrage, parce qu’il illustre bien que comprendre pourquoi, dans le MPC, le travail concret se socialise comme travail abstrait, les produits dans lesquels il s’objective comme valeurs d’échange et argent, pourquoi la valeur est un sujet automate, pourquoi le capital est auto-valorisation, sont des questions importantes pour la lutte de classe : parce que c’est, entre autres choses, comprendre que son but n’est pas de remplacer des fonctionnaires du capital par d’autres, comme le proposent les « populistes », mais d’abolir le capital en tant que rapport de production et d’appropriation.
[1]Dans Etatisme ou Libéralisme, c’est toujours le Capitalisme, éd. Contradictions, 2011, et La montée des Extrêmes, de la crise économique à la crise politique, éd. Jubarte, 2013.
[2]K, I,1, 59 et 84.
[3]Ibidem, p.59.
[4]“La généralité du travail, c’est son caractère abstrait”.Ibidem, p.89.
[5]Ibidem, p.54.
[6]Ibidem, p.59.Contrairement à ce qu’il a annoncé dans la Critique de l’économie politique, il ne donne aucune explication. Il postule : ce ne peut être qu’ainsi pour que les échanges s’égalisent. Et toutes les conséquences qui s’en suivent le vérifient effectivement dans les faits.
[7]Gr. I, 39.
[8]K.I, 1, 59.
[9]K. I, 1, 62.
[10]Ibidem.
[11]Ce qui n’est pas un cas unique dans les sciences en général. Plus tard une expérimentation vient, ou pas, apporter la preuve pratique d’une thèse. En l’occurrence l’expérience de quelques trois siècles d’accumulation du capital, avec toutes ses contradictions et crises, est la preuve éclatante de la justesse de l’analyse de Marx qui, seule, incontestablement et brillamment, en apporte l’explication.
[12]K. I, 1, 54.
[13]K. Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, E.S., p.15.
[14]K. I, 1, 85.
[15]Contribution…., opus cité p.14.
[16]K. I, 1 86.
[17]TPV III, 161.
[18]A l’origine l’argent est monnaie métallique (marchandise où subsiste la trace du travail), mais, richesse abstraite, simple signe représentant les marchandises et le travail abstrait, la forme de cette monnaie peut être dématérialisée, détachée de toute référence au travail : papier émis à volonté, monnaie numérique, etc. Reste la réalité matérielle des chiffres.
[19]Ibidem.
[20]K. I, 1, 62.
[21]K. I, 1, 85.
[22]K. I, 1, 87.
[23]K. I, 1, 85.
[24]K. I, 1, 87, souligné par moi.
[25]K. I, 1, 95, souligné par moi.
[26]K. I, 1, 95.
[27]K. I, 1, 95.
[28]K.I,1,96.
[29]K. I, 1, 87.
[30]K. Marx, Manuscrits de 1861-1863, Cahiers I à V, E.S., p.16.
[31]Rappelons que la grandeur de la valeur de la marchandise « force de travail » est, comme pour toute M, la quantité de travail abstrait qu’elle a incorporée, autrement dit la somme des valeurs des M que doit consommer le travailleur pour se reproduire et pouvoir vendre sa force de travail.
[32]K. I, 3, 28, note 4.
[33]K. I, 1, 156.
[34]K. I, 1, 158.
[35]Le Capital, Livre I, traduction J.P. Lefebvre, PUF, Quadrige, p.173.
[36]Ibidem, p.174.
[37]K. I, 1, 158.
[38]Manuscrits de 1861-63, Cahiers XVI à XVII, Classiques Garnier, p.28.
[39]K. I, 1, 159.
[40]K. Marx, Cahiers XVI à XVII, op. cité, p.51.
[41]K. II, 1, 54.
[42]K.Marx, Cahiers de 1861-1863 I à V, op. cité, p.74-75 (« sujet » souligné par moi).
[43]K. I, 1, 158.
[44]K.I, 1, 156-157.
[45]Spinoza, L’Ethique, éd .la Pléiade, p.474.
[46] Engels, lettre à Conrad Schmidt, 27.10.1890 (Marx, Engels, Lettres sur le Capital, E.S., 1964, p.369).
[47]Cf. TPV II, 183 et 192.
[48]K. I, 1, 20. Préface à la première édition allemande du Capital.
[49]Le Capital, traduction Lefebvre, op. cité, t.1, p.172.
[50]Ed. Jubarte, p.61.
[51]Sur ce sujet, voir Etatisme ou Libéralisme, c’est toujours le capitalisme, op. cité.
[52]Voir La Montée des Extrêmes, op. cité, chapitre 2, Capitalisme et Totalitarisme, p.19 à 24.
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