2015 – SITUATION & PERSPECTIVES


BREF REGARD SUR LE PASSÉ

Selon Marx et Engels, les bourgeoisies d’autrefois craignaient fort « un spectre qui hante l’Europe : le spectre du communisme ». Aujourd’hui encore elles ont et donnent du communisme une image d’autant plus diaboliquement spectrale qu’elles ont bien cru qu’il les anéantirait, et que la crise pourrait bien le faire sortir de sa léthargie.

En écrivant Le Manifeste du parti communiste en 1848, les deux amis démolirent ces « contes » débiles de la bourgeoisie. Ils le firent avec brio en montrant les fondements réels du communisme, ses caractéristiques générales, sa nécessité historique. Cependant, et pour son plus grand malheur [1], le mouvement communiste prit d’abord le pouvoir d’État dans des situations impossibles (l’éphémère Commune de Paris) ou terriblement défavorables (URSS, Chine) pour qu’il puisse aller jusqu’à son terme : l’abolition de la condition de prolétaire (qui est évidemment en même temps celle de la bourgeoisie). Autrement dit, l’abolition du rapport social spécifique de domination et d’appropriation qu’est le capital.

Ces conditions défavorables ne résidaient pas seulement dans l’isolement face à des forces bourgeoises nationales et internationales encore extrêmement vivaces et puissantes. Elles n’étaient pas seulement dues à une conscience plus ou moins erronée des situations, des nécessités et possibilités qui en découlaient. Elles étaient surtout dues au fait qu’il s’agissait de pays où la productivité du travail était encore très faible, où donc une quantité importante de travail contraint, industriel et agricole, était encore nécessaire. C’est-à-dire que l’immense majorité de la population, prolétaires et paysans pauvres, ne pouvaient pas disposer du temps libre nécessaire à ce qu’ils puissent, par une lutte de classe adéquate, s’approprier les conditions matérielles et intellectuelles de la production et de l’exercice collectif du pouvoir. Appropriation qui est le fondement d’une société communiste.

Marx et Engels avaient d’ailleurs lucidement prévu que dans de telles situations de pénurie, il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de sortir de la « vieille gadoue » de la domination du travail contraint, répulsif, aliénant, sur le peuple [2]. Mais, contrairement aux dires de certains théoriciens, ce n’est pas parce que ces premières tentatives étaient très difficiles que cela justifiait d’y renoncer, c’eût été trahir les intérêts les plus immédiats des peuples en lutte (tels que la paix, le pain, la terre, la répartition des richesses, de nouveaux pouvoirs, etc.). D’ailleurs ces révolutions furent non seulement héroïques, mais obtinrent des résultats considérables avant d’échouer complètement dans la poursuite d’un processus vers le communisme. « Il serait fort commode de faire l’histoire universelle si on n’engageait la lutte qu’à condition d’avoir des chances infailliblement favorables. » [3]

En URSS comme en Chine, on n’a pas assisté à l’échec du communisme : il n’y a jamais été atteint, loin de là, mais à l’interruption et à l’échec d’un processus révolutionnaire (sur la base du développement d’une bourgeoisie d’État) avant qu’il n’ait pu abolir, ni même profondément entamer les rapports sociaux capitalistes (notamment la division politico-sociale puissances intellectuelles/exécutants à laquelle la Révolution culturelle chinoise avait tenté, plus ou moins confusément, de s’attaquer). Que la bourgeoisie, via tous ses idéologues intensément mobilisés, occupant seuls tous les médias, n’ait cessé d’exploiter les tares et les crimes du soi-disant « socialisme réel » stalinien pour y amalgamer le communisme, c’est de bonne guerre. Mais comme la planète est aujourd’hui sous le joug d’États totalitaires et criminels, de mafias politico-financières à côté desquelles un Al Capone n’est qu’un petit amateur, ce serait donc qu’il y aurait des régimes communistes partout !

« L’anatomie de l’homme est la clef de l’anatomie du singe » [4]. Ce n’est pas tant le passé qui explique le présent, que le présent qui explique le passé, les développements modernes du capitalisme qui permettent de comprendre les situations antérieures. En particulier, c’est au vu de la diminution drastique, de l’épuisement de la quantité de travail social nécessaire à la production d’une masse énorme de produits les plus divers et les plus performants (pour une bonne part d’ailleurs superflus, voire nuisibles du point de vue du développement humain) qu’on peut réaliser combien les révolutions du xxe siècle étaient loin de pouvoir bénéficier de cette situation « d’abondance » (je préciserai plus loin) nécessaire au communisme. Elles devaient dès lors commencer par la créer (en inventant un procès de développement des forces productives compatible – et là était la grande difficulté – avec l’accroissement de la puissance politique et sociale des prolétaires maintenus nécessairement en tant que tels dans ces circonstances de « règne de la nécessité » [5]).

Dans la première moitié du xxe siècle, cette situation où dominait encore l’ampleur du travail contraint [6] était aussi celle, même si c’était dans une moindre mesure, des pays aux forces productives alors les plus développées. Finalement les circonstances ne pouvaient qu’engendrer un mouvement prolétaire qui peut être caractérisé aujourd’hui de globalement et majoritairement « réformiste ».

 

DES BASES DU RÉFORMISME CHEZ LES PROLÉTAIRES

Le réformisme est une tendance qui a toujours existé chez les prolétaires (et bien sûr ailleurs dans les diverses fractions de la bourgeoisie dites « républicaines » ou « de gauche »). Sa caractéristique générale consiste à orienter et limiter les luttes à l’obtention d’améliorations matérielles (le « niveau de vie » selon l’expression générale, comme si celui-ci ne concernait pas aussi la richesse des activités et des besoins). Améliorations du rapport salarial, qui ne peuvent évidemment qu’être limitées par la reproduction de ce rapport, c’est-à-dire la continuation de la valorisation du capital. Celle-ci, la « croissance » (l’accumulation du capital), étant la condition même de ces améliorations. Autrement dit, non seulement elles sont limitées quantitativement (la part du produit qui va au capital s’accroissant nécessairement toujours plus, avec son accumulation, que celle qui va aux prolétaires), mais aussi qualitativement : si la consommation s’élève, c’est en grande partie pour répondre aux besoins aliénés générés et stimulés par le capitalisme, et en même temps il y a une profonde détérioration des besoins immatériels, le travail prolétaire étant vidé de toute qualité, devenant lui aussi de plus en plus aliéné et répulsif avec les progrès de la machinerie.

Une telle orientation réformiste désapproprie les prolétaires de toute puissance autonome. Elle ne change en rien le mouvement historique par lequel toute la puissance sociale est accaparée du côté du capital et de son État. Au contraire. Et une conséquence en est qu’est ainsi auto-entretenue chez les prolétaires soumis au réformisme l’idée que leur sort dépend de cette puissance, du capital, à la reproduction et à l’accroissement duquel ils auraient donc intérêt à contribuer [7]. Cela les amène donc à soutenir « leur » capital, à souhaiter sa croissance maximum, en espérant ou exigeant seulement qu’elle leur profite aussi, et pas seulement aux autres ayants droit, patrons, financiers, étrangers, etc. Exigence qu’ils demandent paradoxalement à l’État capitaliste lui-même de réaliser (paradoxe qui relève évidemment du fétichisme de l’État, ce dont je reparlerai plus loin).

C’est pourquoi, sous imprégnation et domination de cette idéologie réformiste, les prolétaires, dans leur majorité, confient leurs revendications à des appareils syndicaux et politiques qui s’affirment comme leurs représentants officiels et exclusifs auprès du patronat et de l’État, chargés de négocier un rapport salarial plus équitable ! Ces médiateurs se transformeront progressivement au cours de l’histoire en quasi-appareils d’État, appareils de professionnels dotés par l’État d’importants moyens matériels, de postes et sinécures grassement payés. Ils jouent dès lors un rôle essentiel pour borner les luttes prolétaires dans les limites du respect des conditions de la reproduction (c.-à-d. de la valorisation) du capital, ainsi que pour organiser et stimuler la domination du réformisme sur les prolétaires. Rôle qui a toujours pris une importance particulière dans les périodes où ces luttes prenaient un tour révolutionnaire, ou menaçaient seulement de le faire. C’est alors que syndicats et partis réformistes (c.-à-d. « la gauche ») se sont toujours révélés au grand jour comme une carte maîtresse au service de la bourgeoisie de par leur influence dans le peuple. Les exemples sont légion, par exemple, en France : 1936, 1945-48, 1968 ; en Allemagne : 1918-1920. De même ils ont aussi toujours soutenu à des degrés divers le colonialisme, l’impérialisme, jusqu’aux guerres qui en découlaient [8].

Lénine disait qu’une réforme peut certes, éventuellement, apporter un mieux pour le peuple (aujourd’hui c’est le plus souvent l’inverse), mais en même temps elle « est une concession faite par les classes dirigeantes pour retenir, affaiblir, ou étouffer la lutte révolutionnaire, pour diviser la force et l’énergie, pour obscurcir la conscience des classes révolutionnaires, etc.… » [9].

Mais de ce double caractère de la réforme, la majorité des prolétaires ignorent le second tant que la bourgeoisie est capable de leur faire ces concessions. D’une façon plus générale, tant que les prolétaires n’envisagent pas la possibilité d’une abolition de leur condition, ils ne peuvent alors que chercher à l’améliorer. Ce qui les pousse spontanément au réformisme comme idéologie et comme seul objectif de leurs luttes tant que le capitalisme peut ou paraît pouvoir procurer cette amélioration [10]. Ils y ont particulièrement adhéré au xxe siècle dans les pays impérialistes, puisque effectivement – et à condition d’oublier ou d’accepter que deux guerres mondiales, d’innombrables exactions et massacres coloniaux, des grèves brisées avec les plus grandes brutalités policières et judiciaires en furent aussi quelques-uns des effets – le capitalisme a pu y augmenter significativement le « niveau de vie » matériel des prolétaires. Leur paupérisation ne leur apparaissait en général pas puisqu’elle n’y était alors en général que relative à l’accroissement du capital (à la part des richesses s’accumulant à ce pôle) [11].

C’est un phénomène, transitoire dans l’histoire du capitalisme et propre aux pays capitalistes les plus développés, qui mérite qu’on en rappelle l’explication. Pour rester bref, on peut la résumer en deux causes principales :

1°) Importants développements du machinisme et de la productivité. Ils permirent l’accroissement de la plus-value (pl) extraite sous sa forme dite relative. Sans redire ici l’analyse de cette forme [12], rappelons un résultat des augmentations de la productivité qui en sont la base : elles permettent d’augmenter – pendant un certain temps – à la fois le niveau de consommation des masses (du fait de l’abaissement de la valeur des marchandises qu’elles induisent), et la masse de la pl, donc des profits (du fait d’une production plus massive, à moindres coûts de production et pouvant être ainsi écoulée).

2°) Expansion d’une exploitation sauvage des peuples dominés par les impérialismes, ainsi que de leurs ressources en matières premières et agricoles. Ce qui constitua (et constitue toujours) une source importante d’accroissement de la pl dans les pays impérialistes dès l’époque de la colonisation. Accroissement dont les prolétaires de ces pays reçurent des « miettes ». Ce qui fit dire à Engels : « Les ouvriers anglais mangent allègrement leur part de ce que rapporte le monopole de l’Angleterre sur le marché mondial et dans le domaine colonial. » [13]

Nous verrons ultérieurement ce que deviennent aujourd’hui, à l’époque du capitalisme sénile, ces deux fondements [14] matériels, objectifs, de la domination du réformisme sur les prolétaires. Domination qui n’était pas tant le fait d’un « couvercle » qui aurait été posé de l’extérieur par les propagandistes et organisations du réformisme sur un prolétariat chaud bouillant révolutionnaire, mais qui était plutôt la manifestation de ces circonstances particulières dont ceux-ci se servirent pour exercer et amplifier leur influence. Beaucoup, très souvent, ont bien pu taxer de « trahison » les écarts abyssaux entre leurs discours et leurs actes. Mais si, malgré les innombrables expériences que les peuples ont faites de ces « trahisons », ils ont, jusqu’à nos jours, une minorité exceptée, en général soutenu, suivi, réélu des dirigeants réformistes, c’est bien qu’en profondeur ils étaient imprégnés de cette idéologie, espérant toujours qu’arriverait au pouvoir une « vraie gauche » qui l’appliquerait avec succès, sans « trahir » ses promesses illusoires. Ce n’est pas cette idéologie bourgeoise qu’ils réfutaient, mais ceux qui la « trahissaient » nécessairement parce qu’elle était inapplicable, utopique.

Ainsi les mouvements prolétaires du xxe siècle se sont développés entre ces deux pôles : dans les pays aux forces productives peu développées, à faible productivité, telles la Russie et la Chine, la « pénurie » fut une cause objective essentielle de l’échec du processus révolutionnaire qui y avait été commencé. Dans les pays les plus développés, « l’abondance » matérielle a d’abord été un facteur pour que la bourgeoisie puisse y stimuler le réformisme qui y était l’idéologie spontanément dominante chez la majorité des prolétaires [15].

L’intérêt de rappeler ces circonstances historiques spécifiques est de comprendre que d’autres circonstances produiront d’autres effets. Or justement, la crise actuelle révèle que nous entrons dans l’époque du déclin inéluctable et insurmontable de ces fondements matériels de la domination du vieux réformisme sur les prolétaires. La domination de l’idéologie bourgeoise subsiste évidemment sur la base des fétichismes découlant des rapports de production et d’échanges propres au capitalisme, mais elle prend alors principalement des formes « extrémistes » néo-fascistes, désespérées et morbides (et non pas la forme « démocratique » du réformisme traditionnel), ce dont je reparlerai.

 

DÉCLIN ET DISPARITION DES BASES MATÉRIELLES DU RÉFORMISME SOCIAL-DÉMOCRATE

La situation actuelle révèle au grand jour l’ampleur d’un phénomène pourtant engagé depuis les années 70 en Europe (et ailleurs) : la dégradation jusqu’à sa disparition de la situation qui nourrissait et stimulait le traditionnel réformisme social-démocrate [16]. En effet, son analyse montre [17] que la crise actuelle n’est pas seulement une crise classique de suraccumulation de capital corrélative à une sous-consommation des masses, mais que sa caractéristique la plus significative réside dans un épuisement structurel des gains de productivité. Autrement dit un épuisement de l’accroissement de l’extraction de la pl sous sa forme relative, la seule qui permette une poursuite, autre que ponctuelle et éphémère, de la valorisation du capital (c.-à-d. de la croissance) de l’époque moderne (production de masse très mécanisée, nécessitant une consommation en augmentation constante). Épuisement insurmontable puisque les gains de productivité passés ont fini par abaisser à un tel point la quantité de travail productif de pl employé par le capital, donc la valeur des marchandises que mesure cette quantité, que le mouvement de la valorisation de cette valeur (la production de la pl) – lequel est l’existence du capital – stagne, et même régresse (mouvement de dévalorisation). À valeur évanescente, valorisation évanescente. Dit autrement, comment le capitaliste en général pourrait-il augmenter la productivité, et l’extraction d’une plus grande quantité de pl relative, quand cela nécessiterait un gros investissement pour améliorer une machinerie déjà hautement sophistiquée, tandis que l’économie de main-d’œuvre productrice de pl qu’il pourrait ainsi réaliser serait faible puisque celle-ci compte déjà pour relativement peu dans ses coûts de production (de l’ordre de 10 % pour les grandes entreprises) ?

Donc le capitaliste n’investira pas, ou moins [18], bien que les Banques centrales l’abreuvent de crédits quasi gratuits et que les États le gavent de subventions, baisses de charges sociales, d’impôts, etc. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ! On ne fait pas investir un capitaliste qui n’espère pas accroître par là ses profits ! Finie la croissance !

Cette situation rappelée (la sénilité du capitalisme), revenons à la question qui nous importe ici : les bases objectives du réformisme social-démocrate.

La première des deux bases que nous avons retenues précédemment, l’accroissement de la pl extraite sous sa forme relative, c’est-à-dire obtenue par des gains de la productivité générale, est en cours d’affaissement irrémédiable comme je viens de le rappeler.

La deuxième, qui lui était concomitante, la mondialisation impérialiste, s’est elle aussi affaiblie. Les affaires se font plus difficiles dans les pays dits « émergents » (tels lesdits BRICS [19] donnés comme exemple de croissance dans la prose médiatique), qui sont eux aussi frappés par la crise. Pour ne prendre que l’exemple de la Chine, tant vantée et classée deuxième économie mondiale, ce n’est pas seulement que ses exportations sur lesquelles s’appuyait sa croissance se heurtent aux politiques d’austérité – pour les peuples – généralisées. C’est aussi que s’y épuisent les gains de productivité, d’autant plus que le capital s’y heurte à une résistance accrue des prolétaires. En Chine, déjà en 2010, « la productivité globale des facteurs (PGF) aurait même tendance à diminuer de près de 0,5 % par an » [20]. Comme ailleurs la croissance apparente y repose de plus en plus sur un recours ultra-massif au crédit : la dette cumulée y atteint 220 % du PIB à fin 2013 contre 130 % cinq années auparavant. D’où une masse de capital fictif s’accumulant en bulles.

Ce n’est donc plus de la mondialisation que le capital mondialisé peut espérer le retour d’une croissance même mollassonne. Observons aussi que, depuis la fin du système colonial, les impérialistes doivent partager le butin avec les cliques bourgeoises et militaires prédatrices qui ont pris le pouvoir politique dans les anciennes colonies et s’approprient une partie, qu’elles cherchent toujours à accroître (cf. l’exemple célèbre des deux « chocs » pétroliers des années 70), des rentes minières et de la plus-value tirée de l’exploitation de ces populations par les multinationales industrielles et de l’agroalimentaire.

Pour contrebalancer l’épuisement des gains en plus-value relative, les capitalistes doivent augmenter davantage l’extraction de la pl sous sa forme absolue. C’est bien ce qu’on les voit faire tous les jours, avec l’aide active de tous les États : allongement de la durée du travail (hebdomadaire comme sur toute la vie) ; augmentation de son intensité, notamment avec sa « flexibilité », diminution des salaires directs et indirects (prestations sociales) [21], augmentation des impôts et taxes pesant sur le peuple (à l’inverse, diminution des charges payées par les patrons), etc. [22]

Or une telle politique, aujourd’hui mise en œuvre mondialement et systématiquement, ne peut pas produire de la croissance puisqu’elle réduit évidemment la consommation [23]. D’ailleurs les recettes et économies qu’elle est supposée pouvoir fournir aux États pour rembourser leurs dettes sont, en dehors même de leur improbable réalisation, tout à fait dérisoires au regard des montants pharaoniques de celles-ci.

La solution apparaît alors à beaucoup être dans une politique (dite keynésienne) de relance de la croissance par une hausse des salaires et des investissements de l’État (type grands travaux d’infrastructures, construction de logements, énergie verte, etc.). Mais ce n’est pas au moment où le procès de valorisation du capital est en peine, et même en panne, qu’une hausse des salaires est possible, pas plus qu’augmenter leurs dépenses ne l’est à des États hyper-surendettés.

L’avenir des prolétaires et des peuples dans le capitalisme est celui d’une dégradation sur tous les plans de leurs conditions de travail et de vie. Cela beaucoup le vivent déjà, et les autres le craignent. Mais ce qui est important pour la riposte à y apporter, c’est de comprendre que ce sont des phénomènes absolument inhérents à la réalité du capitalisme contemporain. De comprendre, donc, que la possibilité d’un choix réformiste n’existe plus, les fondements matériels en étant devenus inexistants. Sauf à appeler réforme, comme le font les idéologues du capital, ces dégradations en cours : des réformes réactionnaires (au sens propre du terme : retour en arrière). Le mouvement réformiste traditionnel (« la gauche ») est condamné à des échecs certains dans sa prétention à améliorer le sort des couches populaires. Nous en verrons ultérieurement les conséquences. Toutefois disons déjà celle-ci : tous ceux, notamment ceux des extrémismes étatiques (donc bourgeois) type FN ou PG en France, qui prétendent pouvoir établir un « bon capitalisme », au service du tous que serait la Nation, ou, mieux encore, de « l’humain » en général, ne sont que des charlatans, des bonimenteurs (quoique souvent plutôt malimenteurs). Le seul avenir « humain » pour les prolétaires se trouve dans ce fait : en même temps que disparaissent, et définitivement dans cette époque de la sénilité du capital, les bases matérielles du réformisme de gauche, mûrissent celles du communisme. Ce qui est une grande nouveauté historique.

 

MÛRISSEMENT DES BASES MATÉRIELLES DU COMMUNISME DANS LE CAPITALISME CONTEMPORAIN

Le communisme n’est pas une société idéale inventée de toutes pièces par quelques penseurs plus ou moins bien inspirés. C’est l’évolution historique du capitalisme qui fait apparaître sa barbare sénilité. Cela au moment même où il a développé à un maximum, mais qu’il ne peut plus dépasser, les forces productives. Et cette situation qui le plonge dans une crise chronique catastrophique contient concomitamment les moyens matériels de construire une tout autre société (c.-à-d. d’autres rapports sociaux), une communauté d’individus aux besoins, facultés et activités élevés, qualitativement riches.

Ce contenu, la richesse qualitative, doit être explicité avant d’examiner l’existence de ces moyens pour l’atteindre (sans lesquels on ne pourrait construire que sur du vide, que rêver de simples utopies). Rappelons brièvement ce qu’est la vraie richesse pour les hommes (vraie, c’est-à-dire adéquate à leur nature qui est leur auto-développement par leurs travaux ou activités). Son premier fondement est l’abondance de temps disponible pour qu’ils puissent développer leurs facultés et activités créatrices dans le plus de sens possible, aussi bien « horizontalement » (diversité des activités) que « verticalement » (perfectionnement).

Un travail riche est évidemment l’opposé d’un travail contraint, répulsif. Il n’est pas imposé comme une obligation, mais est l’expression d’un besoin intérieur [24], une libre volonté. Il est donc en lui-même la satisfaction d’un besoin créatif personnel, et non pas, comme dans le capitalisme, n’importe quel travail, dont le produit indiffère puisqu’il ne s’agit finalement que de gagner de l’argent afin de satisfaire un besoin extérieur à ce travail.

Le travail riche est ainsi non seulement directement jouissance dans son effectuation, jouissance d’éprouver et développer son habileté, ses connaissances et autres facultés dans l’effort, la volonté, la ténacité que cela implique. Mais il l’est aussi parce que son résultat satisfait et développe par ses qualités (son utilité, sa beauté, sa nouveauté, le plaisir qu’il procure, etc.) les besoins élevés d’autres hommes. De sorte que ce travail satisfait également ce besoin qu’a l’individu de relations sociales faites non de concurrence, mais d’émulation, d’enrichissement réciproque des besoins, jouissances et capacités de chacun. Tant il est vrai que l’individu ne se construit qu’avec et par les autres, donc que l’élévation qualitative des besoins, facultés, activités de chacun dépend de celles des autres, en plus grand nombre possible [25], dans des échanges réciproques.

La construction des hommes par eux-mêmes a évidemment toujours été sociale. Et de plus en plus au fur et à mesure de l’élévation des besoins, de la diversification des produits, et de la complexification des techniques, des sciences et des procès de production et d’échange. Mais sociale selon des caractéristiques historiquement spécifiques de division du travail et d’appropriation. Pour ce qui concerne le mode de production capitaliste (MPC), le « travailleur collectif » (terme qui désigne la collectivisation massive des procès de production) est constitué notamment de profondes divisions du travail entre capitalistes « actifs » (dirigeants et « puissances intellectuelles de la production ») et prolétaires, États et peuples, centres impérialistes et peuples dominés. Dans ce « travailleur collectif » la coopération est contrainte, domination de certains sur les autres. Elle est fondée sur, tout autant qu’elle l’organise, la dépossession des prolétaires aussi bien de la maîtrise de leur travail que de son produit.

Le procès de la révolution communiste est celui de l’abolition de ces divisions du travail déterminant quels sont ceux qui possèdent, qui dominent, qui accaparent au détriment des autres. L’association y sera le résultat en même temps que le moyen de l’appropriation par tous des conditions de la production et de la vie sociale. Laquelle maîtrise permettra alors que les rapports de tels individus avec la nature soient en adéquation avec le fait qu’ils en font partie et ne peuvent donc se construire en la ruinant. La recherche de la vraie richesse n’a rien à voir avec une consommation sans cesse accrue de tout et n’importe quoi, une simple accumulation de quantités de choses. Une telle association d’individus possesseurs ensemble de leurs conditions de vie et unis pour se développer par le profond intérêt commun de leur enrichissement réciproque sera donc une véritable communauté d’individus libres, et non pas une simple collectivisation et coopération contrainte, puisque l’intérêt de chacun sera celui de tous, que tous puissent développer librement et au mieux leurs facultés et activités [26].

Comme on le voit, ces quelques caractéristiques générales du communisme ne sont pas issues de l’imagination, mais de ce qu’est la nature humaine – auto-construction par le travail – et de la constatation des potentialités présentes dans le capitalisme permettant de fonder le développement d’individus d’une essence nouvelle, telle que le contenu essentiel vient d’en être tracé.

Revenons en effet à notre sujet : ces potentialités, ces moyens matériels existants qui peuvent servir de point de départ à un processus vers le communisme jusqu’à son aboutissement. Ils sont, pour les principaux, les suivants :

  1. Dépérissement drastique de la quantité de travail contraint utilisé dans la production, « abondance » potentielle considérable de temps libre.
  2. Autrement dit, dépérissement de la valeur d’échange, donc possibilité de supprimer ses formes concrètes telles que prix, monnaie, argent, etc. Le but du travail peut devenir les valeurs d’usage et la satisfaction de besoins qualitativement élevés.
  3. Collectivisation et internationalisation des procès de production et des échanges (mais selon les divisions impérialistes des travaux). D’où universalité des connaissances, des sciences, des besoins. Partout l’accumulation des savoirs et techniques élaborés par les générations passées est, et de plus en plus, le facteur essentiel de la production, tels un « intellect général », un « cerveau social » universel (certes accaparé par le capital et ses « fonctionnaires », telles les « puissances intellectuelles de la production »).
  4. Une masse croissante de prolétaires, partout dans le monde, sont soumis à des conditions d’existence de plus en plus difficiles, de plus en plus létales au fur et à mesure de l’aggravation (inéluctable) des difficultés du capital à son âge sénile à se valoriser et s’accumuler.

Ces circonstances actuelles ainsi très brièvement rappelées sont des moyens bien réels d’un processus menant au communisme. Non pas tels quels, mais à condition d’être transformés pour qu’ils le servent. Ce qui est une tâche qui nécessite la poursuite de ce procès révolutionnaire après la révolution politique.

Reprenons par exemple la question du temps libre. Comme je l’ai rappelé, c’est le développement du capitalisme qui a généré une diminution considérable du temps de travail. Un actif travaillait environ 3.000 heures par an vers 1870 en France ou en Angleterre. Un siècle plus tard c’était déjà moitié moins ! Et cette tendance a été la même ailleurs au fur et à mesure de l’expansion mondiale du capitalisme moderne. La question n’est pas de constater à quel point la machinerie s’est substituée au travail, et au travail prolétaire surtout. Cela toutes les statistiques le démontrent amplement. Elle est que le capital fait que le temps de non-travail ainsi développé ne soit pas du temps libre, du temps utilisable pour l’enrichissement des capacités, des pouvoirs, des besoins, des activités des travailleurs. Au contraire il réduit massivement les prolétaires en masse à la misère physique, intellectuelle, sociale et morale du chômage, ou il absorbe ce temps de non-travail à son profit au moyen de loisirs absolument aliénants.

Mais ce n’est pas tout. Au fur et à mesure de son mouvement historique d’accumulation, le capital a engendré une masse croissante d’emplois dans des fonctions commerciales, financières, étatiques, médiatiques, etc., qui, immédiatement ou progressivement selon les cas, n’auront plus lieu d’être parce que le processus révolutionnaire vers le communisme abolira les rapports sociaux qui en génèrent pour lui l’utilité (les besoins de domination, de profits, de consommation, d’accaparement, d’argent, de crédit, etc., propres au MPC). Non seulement cela permettra aux millions de personnes employées dans ces secteurs d’aller prendre leur part du travail contraint subsistant, diminuant d’autant celle des autres. Mais aussi, toutes ces personnes, et leurs moyens de travail, étant financées par la pl produite par les ouvriers, cela permettra de supprimer la quantité de leur travail (surtravail) qui la produisait. Deux moyens donc d’abaisser la quantité de travail contraint qui subsistera après la révolution politique. Et il en apparaîtra encore d’autres dès lors que les conditions de la production et de la vie seront transformées au cours de ce processus (qu’on pense, par exemple, aux rapports entre les dépenses de santé et le MPC).

Ce ne sont là que quelques remarques sommaires sur la question du temps libre. Ce qui importe à travers elles, c’est de prendre conscience de l’immense potentiel de temps libre que recèle le capitalisme contemporain. Non seulement par le partage du travail avec les chômeurs, mais bien plus encore par le bouleversement du mode de production et de consommation capitaliste, par la transformation radicale des activités et des besoins des individus, de leurs comportements, de leurs rapports entre eux et avec la nature. Partager et changer le travail, c’est nécessairement un seul et même processus [27].

On le voit : rien de tout ceci ne peut être mis en œuvre dans le capitalisme. Le temps libre n’est pas un fondement pour le communisme qui serait déjà là tout prêt. Il ne l’est que potentiellement, en tant que temps qui peut (et cela est la nouveauté historique) et doit être conquis et transformé par le processus révolutionnaire en temps pour abolir le travail et la condition de prolétaire, pour l’appropriation par tous des conditions matérielles et intellectuelles de leur auto-développement (c.-à-d. de la liberté).

Potentiels aussi sont les autres fondements matériels du communisme présents dans le capitalisme contemporain évoqués ci-dessus.

Ainsi en est-il de cette tendance, que génère inexorablement le capitalisme, à la baisse de la valeur d’échange des produits, et qui aboutit aujourd’hui à sa crise chronique. Mais malgré tout cette valeur se maintient peu ou prou dans les convulsions violentes et catastrophiques de cette crise : c’est sa fonction même, et tous les moyens sont bons, jusqu’aux guerres les plus destructrices [28]. D’où, entre autres, l’expansion pharaonique du crédit (du capital financier) comme tentative de perpétuer l’accumulation du capital. Bien sûr il ne s’agit que de la valorisation fictive d’un capital fictif, ce qui se traduit rapidement et régulièrement par des krachs de plus en plus retentissants, qui entraînent une aggravation de la crise et de la situation des peuples. Ici aussi il faut un processus révolutionnaire pour en finir avec la valeur d’échange et ses formes phénoménales : argent, monnaie, prix, etc. C’est-à-dire en finir avec les rapports d’appropriation privée qui induisent nécessairement l’existence de la valeur quand bien même sa substance, le travail social (abstrait), tend à s’épuiser (on a vu que la crise actuelle est la manifestation de cette contradiction, dont l’antagonisme est devenu tel qu’il induit ces moyens extrêmement violents que sont amenés à prendre les fonctionnaires du capital).

Ainsi en est-il avec la mondialisation. L’internationalisation du MPC a supprimé bien des particularismes étroits, figés, conservateurs, des enfermements bornés, en organisant la participation de milliards d’individus à une sorte de « travailleur collectif » mondial qui a développé les forces productives à un niveau qui permet d’envisager la possibilité d’un avenir sans travail contraint comme on vient de le voir. Mais il l’a fait en détruisant la nature et les hommes jusqu’à menacer de mettre fin à l’humanité. Et aussi en exacerbant une division impérialiste du travail entre des pays dominés et ceux qui concentrent la possession des principaux moyens de production – notamment les moyens scientifiques – et la propriété financière, et donc aussi l’appropriation des richesses. Division mondiale du travail qui redouble la division « ordinaire » que le capital a toujours générée et développée entre « les puissances intellectuelles de la production [qui] se développent d’un seul côté parce qu’elles disparaissent sur tous les autres. Ce que les ouvriers parcellaires perdent se concentre en face d’eux dans le capital. La division manufacturière leur oppose les puissances intellectuelles de la production comme la propriété d’autrui et comme pouvoir qui les domine. »[29] Ainsi, si le capital a développé un certain universalisme – lequel n’est pas en soi nécessairement un appauvrissement, ni une uniformité, dans la mesure, et seulement dans la mesure, où il s’agit de la démultiplication des connaissances, des activités, des besoins, de la puissance des hommes sur leur propre destin (leur liberté) –, il l’a fait contradictoirement, dans les plus extrêmes violences, destructions et désappropriations. La mondialisation capitaliste n’est donc qu’un fondement potentiel pour un processus vers le communisme. Lequel a justement pour tâche de briser ces divisions du travail qui ont organisé l’appropriation des richesses matérielles et intellectuelles générées dans cette mondialisation par la bourgeoisie. Ce qui est permettre à chacun de s’approprier ce qui lui sera nécessaire pour profiter et contribuer à un véritable universel pour tous, un universel fait de l’enrichissement réciproque des qualités personnelles, spécifiques, propres à chaque individu.

En résumé on peut affirmer que les principaux fondements matériels nécessaires au succès d’un processus révolutionnaire communiste existent aujourd’hui au sein du capitalisme. Mais potentiellement seulement, et comme cachés, par l’usage et les formes concrètes que le capital leur donne. Il faut donc qu’ils soient mis à jour et surtout transformés et développés autrement par ce processus même. C’est son objet, et c’est ce qui rend inéluctable cette phase dite de transition entre la révolution politique et le communisme. Les prolétaires peuvent seuls en être le sujet pour le mener jusqu’au bout, jusqu’à l’abolition de la condition de prolétaire. Mais là aussi il faut une transformation : qu’ils deviennent une classe, c’est-à-dire unis dans la volonté et l’activité de réaliser le potentiel révolutionnaire, le devenir libérateur de tous ces fondements.

Aujourd’hui l’analyse de la situation générale – qui devra bien sûr se concrétiser par celle des situations particulières – montre la nécessité et la possibilité [30] d’un tel processus. Cette possibilité est une situation nouvelle dans l’histoire. Elle devra donc susciter un mouvement prolétaire nouveau. Non plus massivement réformiste comme l’ancien, mais massivement engagé dans le processus pour le communisme. Mouvement qui est donc à créer.

 

CONSTRUIRE UN NOUVEAU MOUVEMENT COMMUNISTE

Voilà qui paraît bien utopique quand on constate l’état d’immense faiblesse du mouvement prolétaire et, l’un n’allant pas sans l’autre, des communistes aujourd’hui (et depuis longtemps).

« Il nous faut chanter les révolutions de demain et non celles d’hier auxquelles nous ne devons que le respect. » [31] C’est encore ce qu’il nous faut faire aujourd’hui, en partant de l’analyse de la situation spécifique du capitalisme contemporain, au lieu de se contenter de rabâcher les révolutions d’hier. Car si le plus grand respect est effectivement dû aux révolutionnaires du passé, les circonstances contemporaines n’ont que peu à voir avec celles de leur époque où les conditions objectives d’un processus révolutionnaire communiste étaient loin, très loin d’être mûres.

Or, nous avons vu qu’elles le sont aujourd’hui. Au point qu’on voit apparaître chez quelques intellectuels ici ou là l’idée que, sous l’effet du dépérissement en cours de la valeur que j’ai évoqué précédemment, le capital allait en quelque sorte s’écrouler de lui-même [32]. Pour certains communistes [33] cet écroulement nécessiterait malgré tout l’intervention d’un acteur, d’un sujet révolutionnaire. Mais ils ne le trouvent pas, sinon sous la forme d’un sujet mythique : des prolétaires qui ne le seraient pas, c’est-à-dire qui ne lutteraient pas à partir de ce qu’ils sont, mais comme ne l’étant plus, comme non-prolétaires. Parce que, selon eux, en tant que prolétaires ils ne pourraient être que des agents du capital, le reproduisant toujours. Ce qui n’est qu’une part d’une réalité dont ils ne voient pas le caractère contradictoire, de sorte qu’ils ne voient pas non plus la révolution communiste comme un processus dont l’abolition de la condition de prolétaire est l’aboutissement, non un début.

Ainsi pour A. Jappe [34] « le dépassement du capitalisme ne peut pas consister dans le triomphe d’un sujet créé par le capitalisme lui-même ». Pour qu’existe un sujet révolutionnaire « il devrait d’abord se passer une révolution anthropologique ». Autrement dit, le prolétaire devrait être un homme nouveau avant même le processus révolutionnaire qui construit cette transformation (transformation réciproque des hommes et des rapports sociaux). Plus généralement selon Jappe, le capitalisme ne crée pas « les bases de ce qui va le remplacer », mais uniquement misères, ravages et ruines. Ce qui « contraindra l’humanité à se débarrasser de lui. » Voilà un curieux sujet révolutionnaire qui apparaît quand même : l’humanité. Mais on ne peut pas se débarrasser du capitalisme sans le remplacer en même temps par un autre système social, qui ne tombera pas du ciel, qui doit bien avoir des fondements matériels. Alors quoi ? On n’en sait strictement rien. Ce qui est logique pour quelqu’un qui ne voit aucune base objective existante à ce qui pourrait remplacer le capitalisme. Conclusion : il n’y aurait rien d’existant aujourd’hui pour « se débarrasser » du capitalisme, sinon « l’humanité » qui devra sauter dans le vide ! La révolution est « un saut dans l’inconnu ».

Dire que tant qu’il cherche à améliorer sa condition dans le cadre du rapport salarial, le prolétaire est un agent du capital, puisqu’il reste dans ce rapport où il le reproduit et se reproduit, est enfoncer une porte ouverte par Marx il y a bien longtemps. Mais en rester là, c’est oublier que si le prolétaire cherche évidemment à améliorer son existence dans la situation concrète où il est (et c’est là, je l’ai rappelé, sa tendance spontanée au réformisme), il se heurte tôt ou tard dans l’histoire au caractère fondamentalement antagonique de son rapport au capital. Lequel se manifeste régulièrement par la dégradation et non l’amélioration espérée : dépossession accrue, chômage, misère, répression brutale des luttes, rôle de chair à canon sont le plus souvent les réponses qu’apportent les capitalistes aux besoins qu’expriment les prolétaires en tant que tels. C’est pourquoi bien des prolétaires, même s’ils ne furent pas majoritaires, ont été amenés, à partir de leurs luttes pour leurs besoins immédiats, à en élever le niveau jusqu’à vouloir éliminer les capitalistes, prenant conscience par l’expérience et la réflexion qu’ils ne sont pas seulement en concurrence avec le capital pour le partage salaires/profits, mais dans un antagonisme irréductible, qui les oppose au point que le capital à son âge sénile tend à ne même plus pouvoir les maintenir dans leur état de salarié.

Cela dit A. Jappe, et avec lui cette mouvance intellectuelle dont il est une figure, disent vrai dans leur critique de l’ancien mouvement ouvrier réformiste, notamment de sa fraction dite communiste, dirigée par la 3e Internationale stalinienne. Celui-ci en effet ne considérait le prolétaire comme sujet qu’en tant que producteur dominé et exploité par les propriétaires des moyens de production. L’avenir radieux que lui promettaient, selon ce modèle, ces partis soi-disant communistes consistait en une amélioration de son sort matériel pourvu qu’il se sacrifie corps et âme à la croissance d’un capitalisme d’État dont il subirait en fait la domination (« les cadres décident de tout », disait Staline).

Ces intellectuels –  et c’est pour cela que j’en parle ici – présentent l’intérêt d’attirer l’attention sur le fait que le but de la révolution communiste est l’abolition du prolétaire, et donc de s’interroger sur les moyens de cette abolition. Qu’ils n’en trouvent aucun déjà existant dans le capitalisme, c’est là prétendre bâtir le processus communiste sur du vide, en faire un idéal purement théorique et utopique. Mais au moins cela oblige à rappeler que les moyens matériels pour fonder ce processus qui existent dans le capitalisme ne sont pas des conditions « toutes prêtes » dès lors que le prolétariat aurait renversé l’État bourgeois et aboli la propriété privée juridique et financière en nationalisant les moyens de production et d’échange (cela contrairement à ce que Marx a parfois écrit). Or ces moyens qui permettent de fonder le processus communiste existent, mais à condition d’être transformés.

Mais ces intellectuels ont tort de séparer complètement la lutte « économique » (la lutte salariale au sens large) de la lutte pour le communisme. La première étant pour eux entièrement le fait du prolétaire, en tant que tel, agent du capital puisqu’il le reproduit ; la seconde du prolétaire qui, par on ne sait quelle métamorphose, ne le serait plus.

Car évidemment les prolétaires, comme tout un chacun, partent de leurs besoins immédiats. Ceux-ci sont variables selon les époques, les situations. Cela peut être le pain, la paix, le partage des richesses, les conditions de travail, la fin du chômage et bien d’autres choses encore. C’est lorsqu’ils réalisent, dans certaines situations, qu’ils doivent s’emparer du pouvoir pour avoir satisfaction qu’ils se forment alors en classe du fait qu’ils s’unissent contre l’État bourgeois. En tant que classe ils réalisent qu’ils peuvent et doivent être une puissance indépendante. Forts de cette puissance qu’ils ignoraient jusque-là, ils élèvent alors le niveau des besoins qu’ils veulent satisfaire et prennent conscience que les satisfaire, c’est prendre possession des moyens matériels, intellectuels, sociaux de leurs vies. Émergent ainsi avec la constitution des prolétaires en classe la conscience de la nécessité et de la possibilité d’une autre société satisfaisant des besoins radicaux jusque-là enfouis parce que considérés utopiques sous la domination de l’idéologie bourgeoise qui ne cesse de tonitruer sous toutes les formes, y compris universitaires et soi-disant scientifiques, l’acronyme thatchérien TINA, There is no Alternative que le capitalisme. Il est « la réalité » et c’est pure ignorance, pure folie que de la nier en s’opposant aux exigences de la valorisation du capital (de « la croissance »).

Or, ce qui est historiquement nouveau dans la situation contemporaine, au-delà des multiples différences selon les pays, c’est que si les prolétaires sont toujours obligés de lutter pour assurer leur survie quotidienne contre « les empiètements du capital » comme le disait Marx, cette lutte se heurte à l’impossibilité pour le capital de se reproduire sans devoir accroître terriblement ces empiétements, dégrader toujours davantage leur situation. La lutte réformiste traditionnelle, tant dans ses formes que dans ses objectifs, ne peut aujourd’hui, au mieux, que freiner quelque peu, et momentanément, le développement de cette contrainte, pas en inverser la tendance. À l’époque contemporaine, celle de la sénilité du capital, soit les luttes prolétaires échouent quasi immanquablement si elles restent sur le vieux terrain réformiste d’une croissance de l’accumulation du capital accompagnée d’un « juste partage » des richesses ; soit, nourries de l’expérience et de la compréhension des causes de ces échecs, elles s’élèvent au niveau d’une lutte de classe révolutionnaire contre l’État, cet organisateur armé de l’existence, de la reproduction du capital, de plus en plus despotique et violent à l’époque de sa sénilité.

Marx et Engels avaient prévu, dès 1848 dans Le Manifeste du parti communiste, que le capital arriverait un jour à ce stade de son développement historique où « la bourgeoisie ne peut plus régner parce qu’elle est incapable d’assurer l’existence de son esclave dans le cadre de son esclavage », incapable d’assurer l’existence du prolétaire dans le cadre du rapport salarial (des rapports de production capitalistes en général). Et voilà effectivement que cela est en train d’advenir. Voilà l’État définitivement impuissant à juguler la crise et l’accroissement de la misère sociale, qu’il doit au contraire promouvoir et organiser. Ses sommets sont occupés par diverses fractions bourgeoises, cliques et mafias aussi cyniques que parasitaires et corrompues, offrant tous les jours le spectacle insolent de leur course aux prébendes les plus grasses. Mais aussi, pour tout cela, de plus en plus déconsidérées et vomies par les peuples. Elles font comme si elles reprenaient le mot prêté à Louis XV : « après moi, le déluge ». Les concernant ce serait d’ailleurs plutôt « avec moi ».

Mais malgré ce délabrement, ce pourrissement de son trône étatique, la bourgeoisie règne encore, n’hésitant pas à recourir plus ouvertement à des moyens dictatoriaux. C’est que ceux qu’elle écrase sont en plein désarroi, leur rage et leurs colères (laissons de côté ici pour cause d’insignifiance les beaux esprits « indignés » ou « atterrés ») sans lendemain, ne générant pas encore la force organisée qui permettrait de les transformer en puissance, en classe capable d’en finir avec ce règne.

Aussi les prolétaires, dans de vieux pays capitalistes comme la France, sont dans une sorte d’entre-deux.

D’un côté, ils sont toujours en grande majorité dominés idéologiquement par les vieux fétichismes engendrés par les rapports sociaux qui sont les fondements du capitalisme. Ce ne sont pas de simples fantasmes. Ils ont une base dans les apparences que prennent ces rapports à la surface. Apparences dont les racines sont ignorées, mais qui sont néanmoins réelles. Les intellectuels bourgeois, eux-mêmes profondément imbibés de ces fétichismes, prennent ces phénomènes apparents pour toute la réalité du capitalisme. Ce réel tronqué formerait selon eux un système rationnel, répondant notamment à des « lois économiques » qu’ils connaîtraient, et qu’on ne saurait enfreindre sans conséquences ruineuses pour tous.

À propos de ces fétichismes, rappelons pour mémoire :

– Le fétichisme de la marchandise, selon lequel « l’économie » ne serait pas politique, des rapports sociaux de production historiquement spécifiques, mais de simples rapports entre les choses apparentes (marchandises, capitaux, prix, profits, monnaies, etc.) qu’ils génèrent. Simples rapports entre choses et leurs quantités, elle pourrait donc être gérée scientifiquement.

– Le fétichisme de l’argent [35], le comble du fétichisme selon Marx, selon lequel il pourrait créer de la richesse comme le poirier des poires. Il amène à critiquer « la finance » non pas en tant que telle, mais simplement pour ses « excès » qui seraient préjudiciables à la croissance. Il amène donc aussi à croire qu’en fournissant de l’argent quasi gratuitement et en grandes quantités aux capitalistes (pardon, « aux entreprises »), ceux-ci pourraient relancer la production, la croissance, alors que ce n’est pas l’argent qui leur manque, mais la possibilité de le transformer en moyens de produire de la pl.

– Le fétichisme de l’État, selon lequel il représenterait l’intérêt général commun à tous, et pourrait donc gérer l’économie selon cet intérêt, puisque justement elle est rapports entre des choses.

D’un autre côté, ces mêmes prolétaires expérimentent que ce qui les attachait au réformisme, l’amélioration de leur niveau de vie matériel, disparaît. Car ils subissent au quotidien cette réalité du capitalisme sénile qui est qu’il ne peut se survivre qu’au moyen d’une dégradation continue de leurs conditions d’existence. Tout espoir, non pas même d’améliorer leur niveau de consommation, mais ne serait-ce que d’empêcher cette dégradation, à la façon du vieux mouvement réformiste « de gauche », est voué à l’échec (en dehors de possibles succès localisés et éphémères). Au mieux les prolétaires ne peuvent, par un tel moyen, que la freiner, obtenir moins pire que pire pour un moment. Et il convient d’inclure dans ce moins pire l’avenir proche qui n’est guère pris en compte dans les consciences d’aujourd’hui : prochain krach plus destructeur que celui de 2008, désastres écologiques accrus, montée des extrémismes bourgeois, guerres, etc.

La crise (le capitalisme sénile) engendre partout une instabilité politique et sociale grandissante, des récriminations, des luttes de classe, des guerres civiles. Mais, et notamment dans les principaux pays européens, la majorité des prolétaires y sont dans cet entre-deux qui vient d’être évoqué où règnent le flou, le désarroi, les frustrations qui se traduisent parfois, ici ou là, par de brusques accès de colère, aussi rageurs qu’éphémères, des émeutes sans lendemain. Chez beaucoup, la persistance des fétichismes inhérents au capitalisme tend, avec la crise, à les pousser vers les extrémismes bourgeois [36], tels le FN ou le FG en France, ou aussi les intégrismes religieux. À cela s’ajoute qu’il y a toujours, dans les périodes de crises aiguës, une réaction conservatrice dans une partie de la population qui se rattache au passé d’avant la crise, où « on vivait mieux ». Ce passé lui semble meilleur que le présent, et bien plus encore qu’un futur qui lui apparaît confusément rempli de menaces et de troubles effrayants.

On pourrait penser que ces fétichismes persistant nécessairement peu ou prou puisqu’ils sont générés par les rapports sociaux capitalistes, ces extrémismes bourgeois seront la voie que la majorité des prolétaires choisira. Certes, c’est une possibilité, dramatique. Mais ce serait négliger les facteurs qui déjà permettent d’affaiblir cette domination idéologique, et se renforcent en même temps que la crise. Laquelle apprend, par l’expérience, que l’État est incapable d’en empêcher l’aggravation, ainsi que celle des conditions de vie des prolétaires qu’il doit au contraire dégrader pour maintenir l’existence de cette société fondée sur la valorisation du capital, ce pour quoi l’État existe lui-même. La crise enseigne beaucoup d’autres choses encore. De sorte qu’une multitude de faits, ou plutôt méfaits, viennent ainsi apporter la possibilité de saper l’idéologie bourgeoise dans le mouvement prolétaire. C’est ce genre de situation, où le présent paraît bien sombre, qui faisait dire à Marx, en 1843 : « Vous ne direz pas que je me fais une trop haute idée du temps présent, et si malgré tout je ne désespère pas de lui, c’est que sa situation désespérée est précisément ce qui me remplit d’espoir. » [37]

La situation actuelle est donc particulièrement confuse, indécise. L’extrême faiblesse du mouvement prolétaire est évidemment aussi celle des communistes. Les deux vont toujours de pair. Les prolétaires sauront-ils se constituer en classe en s’unissant contre l’État ? Les communistes sauront-ils y contribuer ? C’est en tout cas l’objectif qu’ils se fixent.

Le premier pas pour eux, aujourd’hui si peu nombreux et pourtant dispersés, est de s’unir. S’unir, c’est aussi se délimiter, en évitant ces deux écueils bien connus : le sectarisme et l’opportunisme. Ce qui impose de s’unir sur la base d’une analyse commune de la situation contemporaine, laquelle ne peut être produite aujourd’hui, dans cet état de faiblesse, que dans ses caractères généraux les plus essentiels (plus tard les analyses et les propositions d’action s’affineront, et les débats avec, en fonction des développements concrets, pratiques, du mouvement révolutionnaire). Cette première analyse commune minimum peut et doit comprendre :

1°) Les causes spécifiques de la crise : épuisement des gains de productivité et de l’accroissement de l’extraction de la pl sous sa forme relative ; dépérissement de la valeur.

2°) Les conséquences concrètes qui en découlent :

  1. Sur le plan des faits objectifs : épuisement définitif de la croissance capitaliste. Pour la survie du capitalisme, obligation d’un recours accentué à l’extraction de la pl sous sa forme absolue, à une aggravation de la destruction de la nature [38], à l’élimination d’une masse accrue de prolétaires par la misère, les maladies, les guerres.
  2. Sur le plan de la lutte politique, nécessité d’une opposition nette et combative aux extrémismes bourgeois d’apparence radicalement critique du capitalisme contemporain dit « libéral », type FN ou FG [39]; nécessité de la construction d’une organisation indépendante des partisans du communisme en vue de stimuler et d’orienter la lutte des prolétaires vers une destruction de l’État bourgeois ouvrant la voie vers une abolition des classes sur la base de l’augmentation du temps libre (« l’abondance ») utilisé pour abolir les divisions sociales du travail capitalistes qui fondent ces classes, c’est-à-dire généraliser le travail et les besoins riches pour tous, la maîtrise par tous des conditions matérielles, intellectuelles et sociales de la vie.

Ce premier pas n’est pas celui de la création d’un parti communiste, lequel ne peut émerger et se constituer que dans un rapport dialectique avec un mouvement prolétaire se voulant anti-capitaliste. Mais il en est une préparation. Il est l’activité communiste possible dans la situation de grande faiblesse qui est celle des communistes aujourd’hui, en transition entre un ancien mouvement communiste qui a complètement dégénéré, et un nouveau à créer en appliquant notamment ce principe de construire le vrai contre le faux, la nouvelle organisation révolutionnaire contre l’ancienne réformiste, l’indépendance et la puissance du prolétariat contre l’influence des idéologies et organisations bourgeoises en son sein.

Dans cet état de quasi-inexistence des communistes aujourd’hui, leur association ne peut dans l’immédiat que se fixer un premier but modeste : se faire entendre des prolétaires, y créer un courant d’opinion, aussi faible soit-il pour commencer, contre les fausses solutions étatistes. Pour cela il leur faut édifier un système médiatique (théorique et propagandiste) qui soit à la fois outil d’intervention auprès des prolétaires les plus curieux, les plus intéressés à élever le niveau des luttes, et outil d’unification et de progression politique de l’association au travers des débats et expériences.

Les thèmes pour commencer ce travail ne manquent évidemment pas. Par exemple :

Combattre l’idéologie des réformistes de gauche selon laquelle la crise pourrait se résoudre dans le capitalisme par la réduction des inégalités – effectivement pharaoniques – des revenus et des patrimoines, ce qui permettrait, soi-disant, de relancer la consommation et par là les investissements.

Dans le même ordre d’idée, combattre l’idée fausse que c’est « la finance » qui, captant et retenant la richesse dans sa sphère, est seule responsable du blocage de la croissance et de l’emploi. Ou encore que l’emploi pourrait être préservé par des « accords de compétitivité », qui ne sont que des marchés de dupe.

D’une façon générale combattre l’idée que la crise pourrait être surmontée au moyen d’une dégradation, terrible mais momentanée, des conditions de vie des prolétaires et des autres couches populaires, ou au moyen de l’État qui pourrait promouvoir un « bon capitalisme », vert, juste, patriote, nationaliste, selon les cas, en mettant « la finance » sous sa botte au service de tous, de « l’intérêt général ».

Cette lutte contre cette idéologie bourgeoise trompeuse et corruptrice doit être en même temps accompagnée de propositions positives. C’est à partir des luttes immédiates, des préoccupations et besoins qu’elles manifestent qu’il faut combattre les fausses solutions soutenues par cette idéologie, en même temps qu’il faut montrer quelles seraient les réponses adéquates à ces besoins, leurs conditions de réalisation, qui sont aussi celles de leur nécessaire transformation en besoins riches.

La critique communiste n’a pas pour objet de donner des leçons du haut d’une quelconque chaire « marxiste », mais de répondre à des besoins concrets tels qu’ils s’expriment spontanément dans les luttes. Elle ne dit pas que ces besoins seraient à rejeter parce qu’ils sont ceux du prolétaire tel qu’il est aujourd’hui dans ses rapports avec le capital, ceux du quotidien réifié et aliéné actuel. Elle dit « la vraie parole » de ces luttes, à savoir quels sont les voies, moyens et conditions pour satisfaire ces besoins [40], ce qui implique un processus au cours duquel ils se transforment, et donc au cours duquel les objectifs des luttes se transforment.

Ce propos sur la transformation des besoins au cours du processus des luttes pour les satisfaire mérite qu’on s’y arrête un moment. Illustrons-le par quelques exemples :

D’une façon générale, la satisfaction des besoins minimums du prolétaire pour vivre implique aujourd’hui qu’il doit prendre le pouvoir. Mais qu’est-ce à dire ? Si cela commence par la destruction de l’État bourgeois et de la propriété privée juridique et financière des conditions de la production, cela amène dès lors au besoin d’avoir le « vrai » pouvoir, c’est-à-dire le pouvoir sur tous les moyens (matériels, intellectuels, sociaux), dans tous les domaines (production, aménagement du territoire, urbanisme, logement, éducation, démographie, etc.) de la construction de sa vie, autrement dit au besoin d’abolir la condition de prolétaire.

Plus particulièrement, les revendications d’un meilleur partage des revenus et des patrimoines viennent au premier plan devant des inégalités qui dépassent l’imagination [41]. La question ne porte pas sur l’urgence évidente d’abolir ces inégalités, à tout le moins de les réduire très drastiquement, mais sur le fait que le capitalisme actuel ne le peut pas. Sa survie exige au contraire impérativement qu’il abaisse continûment le « coût du travail » et qu’il paupérise une masse accrue de travailleurs précarisés et de chômeurs. Il apparaît donc que ce besoin d’égaliser la richesse nécessite de s’approprier les moyens qui la produisent : c’est donc le besoin de possession de ces moyens, c’est-à-dire d’abolition des classes, des divisions du travail qui fondent les classes qui apparaît derrière le besoin d’égalité.

Traiter correctement, c’est-à-dire en l’examinant au fond et sous tous ses aspects, cette question du partage des richesses, de l’équité ou de l’égalité dans ce partage, est d’autant plus important qu’elle est exacerbée par la crise. C’est d’ailleurs une revendication essentielle du mouvement prolétaire depuis ses origines, qui l’a amené bien souvent à s’affronter directement contre la bourgeoisie, d’abord au sein même des révolutions bourgeoises. Ainsi la lutte des « niveleurs » en Angleterre pendant la guerre civile (1647-1649). Ainsi les sans-culottes égalitaristes pendant la Révolution française, tels ceux de la section du Jardin des Plantes qui présenta en 1793 à la Convention la revendication « que le même individu ne pourra posséder qu’un maximum ; que nul ne puisse tenir à plus de terre qu’il faut pour une quantité de charrues déterminée ; que le même citoyen ne puisse avoir qu’un atelier, qu’une boutique. » [42] Babeuf prolonge la revendication qui, dans son fameux ouvrage La Conjuration des Égaux, propose la nationalisation de la propriété, que chacun travaille selon ses talents, et que les produits de tous soient mis en commun en vue d’une distribution égalitaire. Et la revendication se poursuivra et se perfectionnera de la Commune de Paris jusqu’à la Révolution culturelle chinoise, qui eût au moins ce mérite de l’élever jusqu’à la question radicale de l’abolition de la division capitaliste du travail entre « puissances intellectuelles » et « exécutants » dominés et désappropriés.

Parlant de « la vraie parole » de ces luttes, Engels disait déjà que derrière la lutte pour l’égalité, il y avait celle de l’abolition des classes dominées et dominantes. Et effectivement, comme on vient de le voir, le partage des richesses a souvent été une revendication qui a amené une partie plus ou moins importante des prolétaires à transformer leurs luttes pour de meilleurs salaires et conditions de vie en luttes classe contre classe. Néanmoins, quand bien même elles prenaient ce caractère révolutionnaire, elles restaient des luttes de l’époque de la domination du travail contraint et répulsif, où il ne pouvait au mieux s’agir que du partage de ce travail et de ses produits – « de chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail » –, non de son abolition, du moins pas avant une phase de développement des forces productives.

Aujourd’hui en revanche, ce qui est caractéristique c’est l’épuisement de cette quantité de travail contraint, prolétaire. Elle reste à partager pour ce qu’il en subsistera après la révolution politique, comme cela a été rappelé précédemment, ainsi bien sûr que les richesses correspondant aux nouveaux besoins produites en abondance par une machinerie ultra-perfectionnée (et qui pourra l’être encore plus puisque les gains de productivité ne seront plus freinés par la dictature des taux de profit). Le temps libre, comme rappelé ci-dessus, sera le moyen de l’appropriation par tous des conditions de la production, c’est-à-dire de l’abolition de la condition de prolétaire. C’est dire qu’aujourd’hui derrière la lutte pour le partage, pour l’égalité, il y a de façon immédiate la lutte pour le temps libre comme temps de lutte pour cette abolition (ce qui n’était pas le cas à l’époque d’Engels).

Ce disant, on rejoint un autre exemple de transformation des besoins et objectifs dans le cours des luttes : la question de la lutte pour plus de travail, pour l’emploi coûte que coûte. Cette transformation est que la « vraie parole » du besoin spontané de plus de travail peut et doit faire place au contraire à l’affirmation du besoin de moins de travail, et d’un autre travail, un travail riche. Dans les luttes pour l’emploi les communistes ne se contentent pas de s’opposer aux accords dits de compétitivité, aux fausses solutions nationalistes, protectionnistes, xénophobes, étatistes, avancées par les divers extrémismes bourgeois. Ils montrent que le capitalisme ne peut plus faire autrement aujourd’hui que détruire des emplois tout en dégradant ceux qui subsistent, et en ruinant la planète. Mais plus encore, ils montrent cette « vraie parole » de la lutte pour l’emploi, seule, formidable, magnifique perspective, et seule solution pour sauver l’humanité, que rend absolument nécessaire et tout à fait possible l’état même du capitalisme contemporain.

Il s’agit donc bien, pour les communistes, de partir des besoins immédiats, urgents, des prolétaires, mais en se fixant pour tâche, à travers la confrontation de l’expérience et de la théorie, de la liaison du particulier avec le général, des apparences avec leurs racines, de contribuer à ce que ces luttes s’engagent sur le chemin qui mène à l’abolition du prolétariat par lui-même. Populariser, faire comprendre, organiser la lutte pour ce but, c’est rompre avec le vieux mouvement ouvrier réformiste. C’est reprendre cette proposition de Marx, il y a cent cinquante ans, que les nouvelles circonstances permettent, et commandent donc impérativement de mettre à l’ordre du jour du mouvement prolétaire : « Au lieu du mot d’ordre conservateur : un salaire équitable pour une journée de travail équitable, ils [les prolétaires] doivent inscrire sur leurs drapeaux le mot d’ordre révolutionnaire : abolition du salariat. » [43]

Certes, un tel objectif communiste peut paraître bien utopique dans l’état de terrible faiblesse du mouvement prolétaire aujourd’hui, perdu dans cette situation d’entre-deux où il lui faut abandonner ses habitudes du passé et inventer un nouveau qu’il ne perçoit pas encore. Mais, à l’inverse, il est réaliste de considérer que le capitalisme sénile engendre et engendrera toujours plus les circonstances qui permettront de sortir de cet entre-deux, sa crise s’aggravant l’amènera à prendre des mesures qui susciteront des mouvements de révoltes toujours plus intenses et massives. Mais seront-elles radicales ? C’est là bien sûr le problème à résoudre. En effet, le passage des prolétaires à des positions et activités révolutionnaires ne se fait pas automatiquement sous le seul effet de conditions objectives favorables. C’est pour cela qu’il faut un parti communiste, et, pour commencer, l’unité, l’association des communistes sur une base élémentaire et une forme souple, ainsi que cela a été esquissé ci-dessus.

Pourquoi pas immédiatement un parti communiste sur le modèle bolchevick du passé disent certains, le considérant comme immuable. Parce que :

1°) Un parti qui n’aurait, dans les conditions actuelles, quasiment aucune liaison avec les masses prolétaires, en leur sein, cela ne serait qu’un ridicule groupuscule auto-proclamé, une imposture.

2°) Pour que cette liaison existe, il faut aussi qu’il existe dans le prolétariat un besoin correspondant, un besoin de dépasser les traditionnelles luttes salariales et pour l’emploi, de rechercher et construire une réelle alternative qui permette de sortir des reculades et des défaites de la période actuelle, qui rompe donc avec les partis et syndicats du système bourgeois. Sans l’émergence et l’affirmation de tels besoins, les propositions communistes ne rencontreraient qu’indifférence et hostilité [44].

3°) Enfin, et pour rester bref, quel parti ? Ceux du passé qui ont réussi à avancer sur le chemin du communisme avant d’échouer ne sont pas nécessairement un modèle. L’organisation communiste doit répondre à une situation qui n’est pas la même aujourd’hui qu’hier, et elle se modifie selon les différentes étapes du processus révolutionnaire, ou se sclérose. Elle n’a donc rien d’immuable quelles que soient les circonstances, ni dans ses objectifs stratégiques et tactiques, ni dans ses formes, ni dans les moyens qu’elle met en œuvre.

On ne discutera donc pas ici de la question de créer un parti puisqu’elle ne se pose pas encore. Celle qui se pose, c’est d’en préparer la création pour ce qui dépend des communistes eux-mêmes dans cette gestation. Tel devrait être le but d’une association souple des communistes qu’il faut aujourd’hui créer. Elle devra en particulier, et pour commencer :

1°) Se donner les moyens – notamment celui d’une revue théorique – de poursuivre les analyses et les débats sur les questions importantes sur lesquelles l’unité reste à perfectionner.

2°) Fournir ainsi aux différents membres de l’association, plus ou moins dispersés et autonomes, une base commune pour leurs activités.

3°) Organiser une centralisation des expériences pratiques afin d’en tirer, en rapport avec l’analyse théorique et son perfectionnement, une synthèse permettant de perfectionner les activités et la tactique de l’association, de nourrir le débat critique, d’améliorer la liaison avec les prolétaires. Cela jusqu’au moment où les résultats obtenus seront suffisamment probants pour pouvoir fonder un nouveau parti communiste, selon une doctrine, une forme, des objectifs qui pourront alors être déterminés par tout ce travail préalable.

En examinant les révolutions passées, finalement échouées, puis la situation actuelle du capitalisme, nous voyons que deux conditions que Marx [45] posait comme conjointement nécessaires au succès d’un processus révolutionnaire communiste d’abolition de la condition de prolétaire sont aujourd’hui réunies, qui ne l’étaient pas autrefois. À savoir :

1°) l’épuisement de l’accumulation (de la croissance) capitaliste, qui condamne les prolétaires à engager ce processus, ou à subir une descente aux enfers d’une ampleur, d’une violence destructrice sans précédent.

2°) l’existence de conditions matérielles indispensables à son succès.

Reste à inventer et à construire la force organisée consciente « des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien » [46], le parti communiste adéquat à cette époque nouvelle.

 

Paris, octobre 2014

 

NOTES

[1]  « La révolution pourrait venir plus tôt que nous le souhaiterions. Le comble du malheur, c’est lorsque les révolutionnaires doivent se soucier du pain des gens. » Lettre de Marx à Engels, 9 août 1852.

[2]  Cf. note 1. Ou encore : « Le développement des forces productives est une condition pratique préalable absolument indispensable, car, sans lui, c’est la pénurie qui deviendrait générale et, avec le besoin, c’est aussi la lutte pour le nécessaire qui recommencerait et l’on retomberait dans la même vieille gadoue. » (I. A., p. 33, note 1). Pour une discussion critique sur le processus révolutionnaire communiste dans les pays aux forces productives insuffisamment développées, voir T. Thomas, K. Marx et la transition au communisme, éd. Albatroz, Paris, 2000.

[3]  K. Marx, lettre à L. Kugelmann du 17 avril 1871.

[4]  K. Marx, Critique de l’économie politique, E. S., p. 169.

[5]  Sur l’opposition règne de la nécessité et règne de la liberté, cf. K., III, 3, 198-199.

[6]  « Ici encore le travail est la chose capitale, la puissance sur les individus, et aussi longtemps que cette puissance existera il y aura aussi une propriété privée. » (I. A., p. 49). Donc il y aura un mouvement prolétaire borné dans ce rapport social, un mouvement réformiste s’il accepte cette limite en ne s’engageant pas sur la voie de son abolition.

[7] Le rapport salarial « accoutume le travailleur à voir sa seule chance de salut dans l’enrichissement de son maître. » (K. I, 3, 60). Accoutumance qui est pénétration de l’idéologie bourgeoise chez les travailleurs : réformisme, nationalisme, corporatisme en sont quelques-uns des reflets.

[8]  Le journal Le Parisien du 26/04/14 titrait, à propos d’un sondage, «Hollande est-il vraiment de gauche? » Mais oui, bien sûr ! Comme ses prédécesseurs de gauche, Mitterrand, Mollet, Thorez, Blum, et tous ceux avant eux, par exemple les fossoyeurs de la révolution de 1848, les Barbès, Ledru-Rollin, Louis Blanc, Raspail, etc.

[9]  œuvres complètes, t. 12, p. 235.

[10]  Il ne s’agit pas ici d’ignorer qu’il y eut dans le passé des luttes révolutionnaires et des militants communistes remarquables. Ce dont il s’agit est de dire pourquoi ils restèrent minoritaires.

[11]  Ce que Marx et Engels ne prévoyaient pas à leur début quand ils écri­vaient en 1848, dans Le Manifeste du P. C. : « L’ouvrier moderne au contraire, loin de s’élever avec le progrès de l’industrie, descend toujours plus bas, en dessous même des conditions de vie de sa propre classe. »

[12]  Cf. K. I, 2, 183-191.

[13]  Lettre d’Engels à Kautsky, 12 septembre 1882, in Marx-Engels, œuvres choisies, T. 3, p. 511, éd. du Progrès, Moscou.

[14]  Les deux sont liés. Mais on ne saurait, selon une interprétation dite « léniniste », ne retenir que le deuxième.

[15]  Lénine avait d’ailleurs prévu cette situation en disant que la révolution politique serait assez facile dans les pays de pénurie, mais le processus vers le communisme très difficile. Et l’inverse pour les pays d’abondance.

[16]  Rappelons que le terme social-démocrate désigne, pour faire bref, les organisations dites de gauche, tels en France le PG, PC et PS et leurs satel­lites syndicaux, tenants d’une voie pacifique légale et étatiste vers le « socialisme ».

[17]  Cf. un résumé de cette analyse dans T. Thomas, La Montée des extrêmes, 10 thèses sur la situation actuelle (p. 11 à 17), éd. Jubarte, 2013.

[18]  Selon une enquête réalisée par la célèbre agence U.S. Standard & Poor’s auprès des 200 plus importantes entreprises dans le monde, les dépenses d’investissement ont reculé en 2013 de 1 % et devraient baisser encore en 2014. La même agence indique (Les Échos, 07.10.14) qu’aux U.S.A. « dividendes et rachats d’actions représentent 95% des bénéfices des entrepri­ses du S&P 500 » (indice des 500 plus importantes entreprises cotées en Bourse). Ce qui veut dire qu’elles ne réinvestissent au mieux que 5 % de ces bénéfices.

[19]  Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud.

[20]  Problèmes économiques n° 3006, 01/11/2010.

[21]  Selon l’INSEE, le pouvoir d’achat des ménages en France a diminué de 0,7 % en 2011, 1,8 % en 2012, 0,9 % en 2013. Et il ne s’agit là que d’une moyenne qui occulte le fait que les 5 % les plus riches le devenaient tou­jours plus, et qu’à l’inverse donc, les baisses du pouvoir d’achat de la majorité des autres étaient beaucoup plus fortes que cette moyenne.

[22]  Voir par exemple T. Thomas, La Crise. Laquelle ? Et après ?, p. 86-94, éd. Contradictions, Bruxelles, 2009.

[23]  En termes marxistes elle augmente le surtravail d’actifs en nombre plus réduit, sans donc permettre de le réaliser en plus-value.

[24]  « Le royaume de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité imposée de l’extérieur. » K. I, 3, 198.

[25]  « Le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous », Marx et Engels, Manifeste du parti communiste.

[26]  Alors le travail « ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin vital… », écrivait Marx dans sa Critique du programme de Gotha. Phrase dans laquelle il avait évidemment en vue le travail riche, contrairement à celle qui a été citée note 6.

[27]  Cf. Partager le travail, c’est changer le travail, T. Thomas, éd. Albatroz, Paris 1994.

[28]  Bien que sénile le capital ne s’écroulera pas de lui-même. Il n’y a pas de situation sans issue pour la bourgeoisie, à l’exception d’un processus révolutionnaire communiste victorieux abolissant les racines de son existence.

[29]  K. I, 2, 50.

[30]  Cf. T. Thomas, Nécessité et Possibilité du communisme, éd. Jubarte, 2013.

[31]  Gustave Lefrançais, dirigeant de la Commune de Paris, dans Souvenir d’un révolutionnaire, éd. La Fabrique. Et aussi Lénine (O. C., T. 24, p. 135) : « La principale erreur que puissent commettre les révolutionnaires est de regarder en arrière vers les révolutions du passé. »

[32]  Voir par exemple une prédiction de ce type chez le très médiatisé J. Rifkin, dans La Nouvelle Société du coût marginal zéro, éd. Les liens qui libèrent.

[33]  Tels, par exemple, M. Postone, R. Kurz, A. Jappe, pour citer quelques-uns de ces théoriciens.

[34]  A. Jappe, Crédit à mort, éd. Lignes, 2011.

[35]  Cf. Crise 1, p. 49-74, Crise 2, chapitre 3.

[36]  Il ne s’agit plus, notamment avec les groupes néo-fascistes tel le FN, d’un réformisme classique. Les bases idéologiques reposent sur les mêmes fétichismes, mais ici poussés à l’extrême dans une sorte d’intégrisme, barbare comme tous les intégrismes. Cf. T. Thomas, La Montée des extrêmes, de la crise économique à la crise politique, éd. Jubarte, 2013.

[37]  Lettre de Marx à Ruge, dans K. Marx, F. Engels, Correspondance, E. S., I, 296.

[38]  Pour ne citer qu’une remarque d’ordre général, l’ONG Global Footprint Network a calculé que la consommation de l’humanité dépasse aujourd’hui de 50 % les réserves des ressources renouvelables (biocapacité de la planète). Dit autrement, il faudrait 1,5 Terre pour satisfaire une telle consommation. Dépassement qui, selon cette ONG, pourrait atteindre 200 % en 2050 en consommation énergétique et alimentaire adossée à une croissance démographique modérée.

[39]  Au moment où il apparaît que l’État est obligé d’organiser la dégradation continue de la situation des prolétaires pour assurer, comme c’est sa fonction intrinsèque, l’existence du MPC ; au moment même donc où il devient possible, et plus que jamais nécessaire, de combattre par des faits évidents toutes les formes de l’idéologie bourgeoise reposant sur le fétichisme de l’État, les partis de l’extrémisme étatique que sont, chacun à leur façon, le FN et le FG, font assaut de propositions pour renforcer cet État en prétendant qu’avec eux à sa tête il serait au service de la Nation, du peuple, de « l’humain d’abord », et autres sornettes. Autrement dit, ils prônent à l’égard du capitalisme et de son État une sorte d’acharnement thérapeutique au lieu de les achever enfin.

[40]  « Théoriquement, ils [les communistes] ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. » (Marx, Engels, Manifeste du parti communiste). Gustave Lefrançais (op. cité) devait constater à propos des Communards de 1871 que « le savoir-faire, la compréhension, ne furent sans doute pas au même degré que leurs autres qualités ».

[41]  L’ONG Oxfam a calculé qu’en 2014 les 85 personnes les plus riches de la planète possédaient autant que les 3,5 milliards les plus pauvres, soit 1 700 milliards $. Ou, dit autrement, que les 1 % les plus fortunés concentrent la moitié de la richesse mondiale. Quelle que soit l’approximation de tels calculs, il est avéré de nombreuses sources que l’écart est absolument faramineux. Mais si on distribuait ces 1 700 milliards entre ces pauvres, cela ferait 486 $ à chacun ! Une telle mesure n’améliorerait donc pas beaucoup à elle seule leur situation. Et c’est un fusil à un coup !

[42]  Cité dans A. Soboul, Paysans, Sans-Culottes et Jacobins, Paris, 1966.

[43]  K. M., Salaires, Prix, Profits, 1865.

[44]  C’est faute de tels besoins qu’en France, comme ailleurs en Europe, toutes les tentatives de construire une organisation communiste sur les supposés décombres du réformisme après mai-juin 1968, menées pourtant par nombre de militants dévoués, acquis au communisme, actifs dans la classe ouvrière, ont fait long feu.

[45]  « Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielle de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. » K. Marx, Contribution à la critique de l’économie politique (préface), E. S., p. 5.

[46]  K. M., F. E., Manifeste du parti communiste.

 

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