A PROPOS DU « POPULISME » : UN COMMENTAIRE DES ELECTIONS DE 2017 EN FRANCE

Postface du dernier livre de Tom Thomas,  » Le capital automate », paru début novembre aux Editions Jubarte et disponible à la librairie du Point du Jour.

Ces élections sont une occasion pour revenir sur le qualificatif « populisme », terme mystificateur comme on va le voir, mais abondamment utilisé dans les médias pour stigmatiser les partis FN et Insoumis. La montée de l’influence de ces partis auprès d’un nombre non négligeable de prolétaires a en effet bien montré l’importance qu’il y avait à mener combat sur le fait qu’il ne sert à rien de remplacer, comme ils le préconisent, des dirigeants du MPC par d’autres qui se prétendent « anti système » alors même qu’ils n’aspirent qu’à diriger eux-mêmes ce système dans le but avoué de mieux stimuler sa « croissance », c’est-à-dire la valorisation et l’accumulation du capital.

Ce petit livre a rappelé pourquoi les géniaux travaux de K. Marx permettent d’affirmer que, dans ce MPC, c’est le mouvement d’autovalorisation du capital, autrement dit le capital n’existant que comme valeur se valorisant, qui dirige les agents de la production, et non pas eux qui dirigent le capital. Eux, c’est à dire principalement ceux qui occupent les postes les plus élevés dans les entreprises, les médias, la finance et, notamment, les appareils de l’Etat, et qui s’efforcent d’assurer une reproduction toujours plus élargie du capital (son accumulation). Ils sont, et ne peuvent être, que les « fonctionnaires du capital ».

Ces élections ont été, tant par la montée des votes « populistes » que par celle de l’abstention, une manifestation parmi d’autres de l’aggravation de la crise politique. Cette tendance accompagne évidemment celle de la dégradation constante de la situation des masses populaires due à la crise. C’est-à-dire due aux décisions que doivent nécessairement prendre ces fonctionnaires pour essayer de relancer la valorisation du capital, sans pourtant qu’ils puissent y parvenir du fait de la qualité des obstacles auxquels se heurte celle-ci, au premier rang desquels il y a la diminution drastique de la quantité de travail productif de valeur que le capital peut employer du fait du niveau très élevé atteint par les progrès des sciences appliquées à la production (développement de la machinerie automatisée). Ce qui les amène à devoir amplifier toujours davantage cette dégradation, la paupérisation des masses, en même temps que de durcir le côté totalitaire et policier du pouvoir bourgeois afin de contenir les résistances que ne manque pas de susciter cette politique (durcissement qui s’amplifiera évidemment si celles-ci prennent consistance). Dans un mode de production qui engendre non seulement l’Etat comme devant assurer la valorisation du capital, mais aussi l’idéologie que l’Etat doit et peut assurer, en même temps que cette croissance, l’emploi, le niveau de vie, la santé, bref, le bien-être général, il n’est pas étonnant que les partis politiques qui le gouvernent, et d’une façon générale ceux qui sont la soi-disant « élite », soient jugés responsables de ne parvenir qu’à l’inverse, et soient donc déconsidérés. Et ils le sont d’autant plus que, dans une telle situation de pourrissement, le carriérisme, le népotisme, les prébendes, les privilèges, qui sont monnaie courante dans ces milieux, apparaissent beaucoup plus insupportables qu’auparavant.

L’abstention record lors de ces élections, remarquablement massive dans les populations prolétaires, indique que l’expérience fait petit à petit son œuvre : ce n’est pas par ce genre d’élections que leur situation peut s’améliorer. Parmi les, grosso modo, 50% des français en âge de voter qui l’ont fait, une majorité écrasante l’ont fait en faveur de partis se présentant comme « dégagistes » (les Insoumis et le FN, En Marche). Cette propension au « dégagisme » est une tendance en marche un peu partout dans le monde, que traduit bien la formule d’apparence radicale à la mode dans de nombreux pays : « qu’ils s’en aillent tous ». Comme si cela pouvait suffire à changer quoi que ce soit, sinon que les fonctions de capitalistes ne seraient pas assurées par les mêmes personnes.

En 2013 j’écrivais, dans l’ouvrage « La montée des extrêmes, de la crise économique à la crise politique »[1] : « Il est assez probable que […] les forces politiques traditionnelles de l’alternance droite-gauche, qui, depuis longtemps, ne constituent une alternative, soient déconsidérées au point d’avoir à céder la place à l’une de ces forces qu’elles qualifient de « populistes », « protestataires », « extrémistes ». Je n’avais pas prévu que, pour contrecarrer cette éventualité ­ qui, bien que ne remettant pas en cause le MPC, ne lui convient pas puisqu’elle accentuerait incontestablement le chaos économique en ruinant davantage le procès de valorisation – la bourgeoisie serait assez finaude pour surfer elle-même sur la vague du dégagisme en construisant, vite fait bien fait, tous les principaux médias à la manœuvre, la candidature d’un Macron et le mouvement En Marche, c’est-à-dire en remplaçant bonnet blanc par blanc bonnet, vieux personnel déconsidéré par les mêmes en plus jeunes, mais résolus à appliquer la même politique. Succès qui est toutefois à relativiser fortement puisque seulement un maigre quelques 15% des français en âge de voter, presque tous des bourgeois, ont voté en faveur de cette manœuvre.

Ceci dit l’expérience Macron n’écartera que très provisoirement la montée du dit « populisme » puisqu’elle ne sera que la poursuite, accentuée, de la tendance à la dégradation accélérée des conditions de vie des prolétaires, et même des petits bourgeois, ci-dessus évoquée. Car si le FN et les Insoumis ont eux aussi le dégagisme dans leur programme, ils ne se contentent pas de vouloir virer les dirigeants déconsidérés. Ils cherchent, eux, à capter la colère en proposant une autre politique qui serait une soi-disant solution à la crise de valorisation du capital. Notamment ils promettent de stimuler une croissance du capital qui soit mise au service d’un peuple prétendument au pouvoir par leur intermédiaire. Cela par le moyen d’un renforcement du rôle de l’Etat qui, organisant un retour au protectionnisme et au nationalisme, dominerait les Monstres de la mondialisation, de la finance, du libéralisme, des multinationales, et obligerait le capital à la fois à réduire les dividendes, à investir, à embaucher, à augmenter les salaires (directs et indirects), financer les services publics,[2], etc. Et, qui plus est, comble de la bêtise ou de la supercherie, tout cela au moment même où les conditions objectives de sa valorisation sont, inexorablement et historiquement, en voie d’extinction.

Dans la mesure où ce dit « populisme » attire ainsi dans ses filets une partie non négligeable de ceux qui enragent de voir leur situation se dégrader implacablement, et comme il est particulièrement réactionnaire et dangereux, car assez efficace dans le dévoiement et l’étouffement de la lutte de classe, il est utile de rappeler ce qu’il est afin de pouvoir mieux le combattre.

Observons d’abord que ces tribuns forts en gueule qui en appellent au « peuple » pour dégager à leur profit les « élites » en place entretiennent une confusion. Pour eux il existerait comme une unité réelle, comme s’il y avait un intérêt commun entre les 99% qui pour eux sont le peuple face aux 1% qui sont l’oligarchie. Comme si ce mot magique et passe partout pouvait faire disparaître la réalité des classes sociales antagoniques ou, à tout le moins, aux intérêts divergents et contradictoires. L’usage qu’ils font de ce mot n’est pas le fait d’une simple facilité de langage. Pour eux « peuple » renvoi à l’idée d’une véritable communauté d’individus, qui a évidemment aussi pour noms ceux de Nation, de Patrie, purs produits de l’idéologie bourgeoise s’il en est. Le peuple est national, et la Nation doit se défendre contre les Nations concurrentes, contre l’oligarchie cosmopolite (mondialiste) sans Patrie, contre les étrangers, etc.

Mais le plus important n’est pas qu’il y ait des idéologues et chefs populistes qui tentent de faire exister et d’incarner le mythe du peuple uni dans un commun nationalisme. Il est qu’il faut, pour les combattre, comprendre pourquoi, sur quelles bases matérielles, nombre d’individus, y compris chez les prolétaires, y adhèrent. Et ces bases se sont celles des rapports de production qui définissent le capital et engendrent les idéologies du « fétichisme de la marchandise » et de l’Etat qui ont été brièvement expliquées dans ce petit livre.

Comme il y a été rappelé, le premier désigne le fait que, dans le MPC, c’est le capital, qui n’existe que comme « valeur se valorisant », qui impose nécessairement et implacablement les lois de cette valorisation aux agents de la production, et c’est le rôle des capitalistes et de leurs Etats de faire de leur mieux pour y réussir. Mais comme ces agents ne voient l’économie que comme des rapports entre marchandises, qu’ils ne connaissent qu’à travers des formes apparentes de la valeur qui semblent n’avoir aucun rapport avec sa substance (le travail socialisé sous forme de travail abstrait) tels que les prix, les profits, les taux d’intérêt et de change, etc., ils croient dur comme fer qu’il s’agit là de formes naturelles, éternelles, qui règlent ces rapports entre choses, les marchandises. Et que tout cela est calculable, gérable rationnellement. Ils ignorent qu’en fait ils ne font que proposer ce qu’ils pensent être (et ils se trompent souvent) la meilleure valorisation du capital, sa plus forte reproduction. Cela tout en ignorant parfaitement ce qui en est la seule base : le travail humain productif de plus-value. D’où, par exemple, leur totale incompréhension de la crise actuelle et leur impuissance à la résoudre. Elles sont la conséquence de leur incapacité à comprendre – et parce que ce serait les remettre en cause, ce qui heurte leurs intérêts de classe – que l’économie c’est certains rapports de propriété et de production entre les hommes, d’où découle un mode de répartition des travaux et des produits (de leurs échanges). L’économie n’est pas une science naturelle, mais historique et politique.

Le deuxième désigne l’idéologie selon laquelle l’Etat ne serait qu’un appareil technique, administratif, qui pourrait donc, aux mains d’un gouvernement ad hoc, « populaire », assurer une gestion rationnelle et équitable de « l’économie » (comme si elle pouvait être autre chose que la valorisation du capital) ainsi mise au service d’un mythique « intérêt général ». Il suffirait, par exemple, pour les « populistes », que l’Etat décide de modifier en faveur des travailleurs le rapport entre salaires et profits, ou/et de réinvestir une plus large part de la pl plutôt que de la distribuer aux actionnaires, ou/et de dévaluer la monnaie en sortant de l’euro, pour relancer la croissance du capital, créer des emplois et le bien être pour tous.

Comme nous l’avons vu, les bases matérielles de ces fétichismes, des idéologies qui en découlent, sont les rapports marchands et capitalistes de propriété, autrement dit de production. Ce sont eux qui induisent que ces rapports entre des hommes prennent la forme apparente de rapports entre des choses, les marchandises. Et, comme nous l’avons vu aussi, il en découle alors que, loin de pouvoir diriger l’économie, ce sont les hommes qui sont dirigés par la volonté de la valeur-sujet, par le mouvement inexorable de l’autovalorisation du capital automate. Dans le MPC le procès de production n’existe que comme support du procès de valorisation. Le capital n’existe que comme valeur se valorisant. Le capitaliste n’a pour fonction et seule qualité que d’être le plus efficace possible dans la mise en œuvre de la valorisation du capital qu’il personnifie, s’il y échoue ils disparaissent tous deux. Vouloir mener une politique contraire à ces lois sans entreprendre d’abolir ce qui les fonde, c’est courir au chaos et à l’échec. D’ailleurs tous les économistes, de droite comme de gauche, ne font qu’expliquer, chacun avec leurs recettes (libérales, sociales, keynésiennes, monétaristes, etc.) ce qu’il faudrait faire pour que la croissance du capital – donc de la pl, de la valorisation ­ soit la plus forte possible.

Alors qu’est-ce que le « populisme » ? C’est le fait qu’une masse hétéroclite d’individus appelée « peuple » réagit à la crise qui les frappe tous – et c’est là leur seul point commun – selon les affirmations mystificatrices de l’idéologie bourgeoise elle-même. Ils le font en la prenant au mot, en poussant ses mythes à leurs extrémités. Notamment en exigeant de l’Etat, puisqu’il est, selon cette idéologie, supposé pouvoir le faire et représenter l’intérêt général, qu’il contraigne les capitalistes et le capital (supposé n’être que des moyens de production, des choses dont on peut disposer à sa guise) à servir le peuple, à préférer « l’humain » plutôt que les profits, à développer la production indépendamment de la valorisation, et autre balivernes. Ils tiennent le langage dit de gauche qui consiste à prétendre pouvoir élever le niveau de vie du peuple en restaurant l’autorité de l’Etat sur l’économie, et la grandeur de la Nation méprisée et foulée aux pieds par des capitalistes apatrides (mondialistes). Funeste tromperie, qui constitue néanmoins le facteur subjectif de leur popularité.

La bourgeoisie dominante a fabriqué et use jusqu’à plus soif du terme « populisme » dans un but de stigmatisation. Par là les « élites » en place veulent condamner avec mépris les exigences de gens qui ne comprennent rien aux lois dites par elle « économiques », voulant dire par là que les lois de la valorisation sont naturelles, indépendantes des rapports sociaux, non spécifiques au MPC. Selon elle, seuls des gens ignares, excités par des démagogues, s’y opposeraient en voulant « dégager » les élites qui les appliquent. Et quelles élites ! Tellement savantes qu’elles n’ont strictement rien compris aux causes de la plus grande crise de l’histoire du capitalisme, de même qu’elles sont absolument impuissantes à en empêcher l’aggravation. Bien au contraire, toutes les mesures qu’elles prennent pour tenter d’y parvenir ne font que réunir les conditions de son aggravation, notamment d’un prochain et gigantesque krach financier. Elles ne peuvent pas comprendre pourquoi le mouvement historique et automate de valorisation du capital est en train de s’auto-bloquer puisque c’est le capital lui-même qui supprime ses bases : le travail humain productif de pl.

Protester contre les mesures de paupérisation généralisée que ne cesse d’accentuer la bourgeoisie est bien la moindre des choses, « le minimum syndical » comme on dit. Ce n’est pas cela que l’on puisse reprocher aux individus attirés par les partis « populistes ». Et s’il y a chez eux effectivement encore beaucoup d’ignorance quant aux causes de la situation, elle n’est pas pire que celle dont font preuve les élites arrogantes qu’ils veulent « dégager ». Donc, bien évidemment, la critique qui est à développer à l’encontre du dit « populisme » est toute différente de celle que lui assènent les « élites » intellectuelles, économiques, politiques et médiatiques bourgeoises qui, ajoutant une incroyable pédanterie à leur crasse ignorance, pètent bien plus haut que leurs culs.

Elle est, qu’en tant qu’il est un extrémisme bourgeois, le « populisme », non seulement n’apporte aucune solution viable à la crise de valorisation du capital (et sur ce point les dites élites bourgeoises ont raison, sauf qu’elles sont dans le même cas), mais pire, et comme d’ailleurs l’expérience des années 30 l’a déjà montré, cet extrémisme est une préparation à une sorte de néofascisme du 21e siècle. Disons plutôt, car le niveau du développement du capitalisme n’est plus du tout le même aujourd’hui (ce point serait à développer ultérieurement), à une accélération rapide de la tendance historique du capitalisme au totalitarisme, conséquence d’une forte accentuation de la concentration du capital que génère la crise, et comme réponse à l’aggravation des antagonismes qu’elle implique[3].

J’ai placé ce bref commentaire sur les élections de 2017 en France en postface du présent ouvrage, parce qu’il illustre bien que comprendre pourquoi, dans le MPC, le travail concret se socialise comme travail abstrait, les produits dans lesquels il s’objective comme valeurs d’échange et argent, pourquoi la valeur est un sujet automate, pourquoi le capital est auto-valorisation, sont des questions importantes pour la lutte de classe : parce que c’est, entre autres choses, comprendre que son but n’est pas de remplacer des fonctionnaires du capital par d’autres, comme le proposent les « populistes », mais d’abolir le capital en tant que rapport de production et d’appropriation.

[1] Ed. Jubarte, p.61.

[2] Sur ce sujet, voir Etatisme ou Libéralisme, c’est toujours le capitalisme, op. cité.

[3] Voir La Montée des Extrêmes, op. cité, chapitre 2, Capitalisme et Totalitarisme, p.19 à 24.

 

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